Avec tout ce qu'on a fait pour toi

Un roman de Marie Brantôme, édité au Seuil en 1995, dans la collection Fictions.

Avec tout ce qu'on a fait pour toi   A Versailles, en 1951, May commence un journal intime. Elle y raconte sa vie de fille. Tout de suite on comprend qu'il  y a une vie d'avant et une vie d'après. La petite sœur de May est morte accidentellement et elle ne s'en console pas. Sa vie n'a plus de sens et ce n'est pas sa famille qui va lui en donner. Une famille ruinée, avec un père domestique dans sa propre maison, une mère bizarre, un grand-frère atteint par la tuberculose, son petit frère Thi. Sa vie lui semble si indigente qu'elle a décidé de mourir le 24 décembre 1954, jour de ses quinze ans. C'est surtout la misère affective qui la peine, le fait de ne pas exister en tant que fille de sa mère "ce qu'elle voit ma mère, en moi, ce n'est pas une enfant. Pas son enfant. C'est autre chose. Sa chose. Qui exécute ses ordres. Doit les exécuter sans broncher. Se rendre utile. Servir. A quelque chose. Sans cesse (...) Toutes ses remontrances commencent invariablement par : "Avec tout ce qu'on a fait pour toi..." Comme si elle s'était sacrifiée pour moi". Heureusement, il y a les autres, sa copine Marie-Anne qui lui refile ses vieux habits, son amie Camille, l'aînée d'une famille nombreuse pas très aisée. Il y a la vie au lycée où elle excelle, les promenades autour du château, les vacances dans le Lot après un séjour en maison de santé. Puis, sur la fin, de nouveaux amis, plus de liberté pour l'adolescente qu'elle devient, les garçons qui entrent dans sa vie. Bel-ami, surtout, qui lui rapporte son cahier oublié chez Camille et qui, le soir du 24 décembre, est assis sur son banc.....


Ce journal est un "carnet de pensées commencé le 30 juillet 1951". Il se termine le 24 décembre 1954 à  9 heures. La narratrice le retrouve des années plus tard, en 1994, selon le post-scriptum. Il est surprenant de constater que les lectrices  (il est plus lu par des filles de 4e-3e que par les garçons) n'ont pas toutes la même perception de la fin du livre : quelques-unes pensent que May s'est donnée la mort, d'autres comprennent que la présence de Bel-ami signifie qu'elle a décidé de continuer à vivre. peu signalent le post-scriptum.
Il ne faut pas croire que c'est un livre triste, ni une suite de pleurnicheries sur la douleur de vivre dans un monde triste et moche où meurent les enfants. Il y a des moments de tristesse parce que May est triste. Mais au fond, il y a la soif de vivre de May, son regard ironique et amusé sur les gens qui l'entourent, sur sa famille qui reste figée dans sa douleur, sur les familles de ses copines. C'est un journal intime et une chronique d'enfance, avec des descriptions fines de cette famille détruite par la perte d'un enfant, de l'école, des gens du village du Lot où elle passe des vacances. C'est le journal d'une révoltée qui crie contre un dieu minuscule, qui se moque des filles de riches, qui se débrouille pour avoir des vêtements contre des dictées musicales qu'elles échange avec les filles de sa classe... Si ce livre est grave, c'est parce qu'il est marqué par la détermination de May d'en finir avec la vie quand elle aura quinze ans. Bien sûr, on n'y croit pas vraiment, encore que...

Un roman prenant, superbement écrit, qu'on lit d'un trait et qui ne laisse pas indifférent son lecteur. Il faut tout de même un peu de maturité pour l'apprécier : 13 ans minimum.

 
   © Jean TANGUY  6 décembre 1998