Chroniques de littérature de jeunesseC
h
r
o
n
i
q
u
e
s
.
.
.
Accueil
Liste des Auteurs
Liste des Titres
Accès par thèmes
Les nouvelles sont dans le journal
Lire le journal
Lire les archives du journal
Qui tient ces Chroniques ?
Le Chroniqueur
Contact...
Mis à jour le 09 mai 2012
 

L'Affaire Jennifer Jones

Un roman de Anne Cassidy, publié chez Milan, en 2006,
dans la collection Macadam
sdfqs

Alice Tully, 17 ans, est étudiante. Elle a un petit emploi de serveuse dans un bistrot. Son petit ami, Frankie, est plein de patience et d'attention pour elle. Elle mène la vie sans histoire de plein d'autres filles de son âge .
Pourtant, cette façade bien lisse se lézarde. La présence d'un homme, un détective qui fréquente le bistrot, l'inquiète. on apprend qu'Alice vit avec Rosy, en famille d'accueil, qu'elle refuse tout lien avec sa mère biologique. Quelque chose la perturbe, un drame qui s'est déroulé il y a quelques années dans une autre ville, Berwick Waters. On apprend qu'une fillette, Michelle, a été découverte assassinée au bord d'un lac. La meurtrière, Jennifer Jonnes était une fille du même âge, un amie de Michelle. Depuis, elle a purgé sa peine et vit quelque part, en ayant coupé toutes ses attaches, pour refaire sa vie.
Alice est obsédée par ce meurtre. Elle lit tous les journaux. Elle regarde chaque émission qui en reparle. Pourquoi ? En quoi est-elle si concernée ?
Une journaliste recherche Jennifer Jones. Elle utilise sa mère pour l'apitoyer et tenter de la joindre. Elle arrive à pièger Alice et Rosy. On découvre alors la vraie identité d'Alice et le drame de sa vie...


Ce roman a été inspiré par deux faits réels. En 1993, deux enfants de 10 ans ont enlevé et assassiné James Bulger, un garçon de 3 ans. En 1960, Mary Bell, 10 ans, avait étranglé deux enfants de 3 et 4 ans. Quatre années après sa sortie de prison en 1980, la presse l'a recherchée, la contraignant à plusieurs déménagements avec sa petite fille qui ne connaissait rien de son passé.

Le roman d'Anne Cassidy est un roman noir, souvent oppressant, à l'atmosphère malsaine du fait du meurtre commis par la fillette, d'allusions à la prostitution, de relations empreintes de violence, de l'évocation d'une relation sexuelle. Il n'a pas de thème central puisqu'il est question de mort,  de sexe, de dégradation de la personne, de négligence éducative et de maltraitance, de prostitution, de sexe, de l'irrespect des médias cherchant un scoop. De remords et de reconstruction, aussi. Des sujets graves qui "scotchent" les adolescents qui empruntent ce livre.
C'est un roman complexe dans sa forme narative , qui alterne le présent d'Alice et le passé de Jennifer.

Le tetxe oblige le lecteur à réfléchir à la question de la peine. Quand une personne a effectué la peine que lui a infligé le tribunal au nom de la société, celle-ci doit considérer qu'elle a payé, qu'elle est réintégrée et ne plus lui tenir rigueur de son passé. On sait assez que ce n'est pas souvent le cas...
Réfléchir aussi à la vie que peut mener une personne qui a commis un crime, qui le regrette, qui voudrait l'oublier pour vivre normalement, mais qui ne peut faire comme si rien ne s'était passé.
Réfléchir à la question de savoir si Alice est devenue meurtrière à cause des conditions de son éducation. Le roman répond par l'affirmative. La relation de Jennifer à sa mère est déficiente, continuellement décevante. La vie familiale est glauque du fait de l'inconduite de sa mère et de ses activités pornographiques. Jennifer ne peut pas compter sur cette femme égoïste qui l'abandonne à une grand-mère affectivement sèche dès qu'elle a un contrat de travail, et qui serait prête à la mettre devant l'objectif de son photographe. Ses camarades d'école savent dans quel marasme dégradant elle vit, ce qui l'humilie et la conduit à son geste meurtrier. Quand la scène du meurtre arrive, le lecteur est à peine étonné (même si'il n'a pas lu la 4e de couverture...).

Mais dans le roman, la jeune fille fait tardivement son entrée dans la société, si on admet qu'elle en a été exclue le temps de sa détention. C'est comme si elle n'avait pas eu d'enfance. C'est une adolescente angoissée par la crainte de revoir sa mère, d'être reconnue, de perdre la protection affectueuse et attentionnée de Rosie, la travailleuse sociale chez qui elle est hébergée, d'être délaissée par son petit ami très amoureux mais un peu trop macho. Elle regrette son geste dont elle semble ne pas encore avoir compris la raison. Elle se réinsère, avec détermination et courage, dans une forme de précarité liée à sa nouvelle identité . Vivre ainsi l'oblige à se surveiller constamment, à mentir sur son passé, car elle sait que si elle est reconnue, elle perdra complètement ses relations, elle changera de ville, d'université, elle quittera son petit ami... Ce qui va se produire, puisqu'elle deviendra Kate Rickman, étudiante en histoire dans une autre ville, sans famille, sans connaissances, sans ami(e)s, sans passé, mais avec, espère-t-on, un avenir.

Ce roman fait partie de la sélection publiée dans un numéro de Lecture Jeune consacré aux "romans violents". Je n'ai pas trouvé qu'il soit violent. Il est sombre, angoissant parce que l'avenir d' Alice/Jennifer/Kate est fragile et incertain. Je le considère comme un roman dérangeant, parce qu'il y est question d'une meurtrière que l'on devrait détester alors qu'on éprouve pour elle de la compassion et qu'on désire qu'elle se réinsère au mieux. D'ailleurs, on est certain qu'elle n'a pas une personnalité de meurtrière, qu'elle ne recommencera pas. C'est gênant de ne pas pouvoir oublier le crime et de ne pas arriver à en vouloir à la meurtrière, qui est aussi une victime...

Le roman a été sélectionné, en Angleterre, pour deux prix prestigieux et a reçu le prix du meilleur livre ado. En France, il a été remarqué par Zaziweb qui lui a décerné le prix de la petite édition, et a été sélectionné pour le prix des Incorruptibles.

Un bon roman bien écrit, dans une veine dramatique et réaliste, qui suscite de l'émotion. A conseiller sans hésiter à des garçons et filles à partir de 14-15 ans.

© Jean TANGUY -- 25 juillet 2009