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Mis à jour le 09 mai 2012
 

L'île des Brumes

Un roman de Harm De Jonge, édité chez Actes Sud en 1998,
dans la collection Raisons d'enfance.
Traduit du néerlandais par Anne Georges.

Peer était un garçon pas comme les autres. Il jouait du saxophone, apprenait plus vite et mieux que les autres, délivrait les ragondins pris au piège... Il avait inventé pour lui et son meilleur ami Jonie, un monde merveilleux, l'île des Brumes, son Atlantide à lui. Un endroit sans chagrin et sans malheur. Il avait imaginé que les dauphins ramèneraient sur le rivage les corps des marins noyés pour que leurs proches puissent leur offrir une sépulture. Chacun pourrait atteindre cette île après sa mort, chaque âme était guidée vers l'Île des Brumes par une mésange. Peer pensait que lorsqu'on meurt, l'âme aspire à s'élever, à quitter le corps comme une bulle d'air qui crève et s'échappe de la vase des canaux. Certains, cependant, pour s'être mal conduits au cours de leur vie, retourneraient au néant. A moins d'être expédiés dans la Grotte du fond de la mer, la grotte réservée aux indésirables. C'était un musicien très sensible, il pouvait raconter ce que tout le monde éprouvait mais que personne n'arrivait à exprimer. Sa musique pouvait donner le sentiment de flotter sur un nuage, susciter une irrésistible envie de danser ou de pleurer. Quand il jouait son saxophone, c'est comme s'il avait quitté le monde. Jonie regrettait seulement qu'il soit secrètement amoureux de Beryl, une idiote peinturlurée jusqu'au bout des ongles. Il lui avait pourtant parlé des autres filles de la classe, de Laurie qui en était amoureuse, mais pas de la douce Jessica au nez retroussé, du frémissement de ses tempes lorsqu'elle chantait à la chorale, des mouvements de son corps qui faisaient tournoyer ses innombrables petites tresses. parce que c'était son amour à lui.
C'était un bon footballeur à la force de frappe redoutable. En shootant dans le ballon, un jour où plus que d'autres, il fallait gagner, il ressent une violente douleur à la jambe. Hospitalisé, il revient trois semaines plus tard, chauve et amaigri. Il retournera à l'école par périodes. Le reste du temps, il restera chez lui, à se reposer, à faire exister son Île des Brumes. Le village tout entier lui fêtera son anniversaire, d'une magnifique façon. Quelques semaines plus tard, Peer demande à Jonie de l'accompagner au lac Bleu. Ils empruntent une barque, s'engagent dans les canaux. Peer est très affaibli, c'est Jonie qui rame. Ils s'arrêtent sur l'île des Roseaux, Peer joue du saxophone pendant que les bancs de brumes descendent à la surface du lac Bleu. Peer remonte dans la barque pour aller jouer sur l'eau, pour Jonie, parce que sur l'eau, la musique vibre mieux...
Quelques jours plus tard, Jonie raconte à Jessica comment Peer est parti vers l'Île des Brumes.


Le livre est dédié à "un garçon doué à la vie trop brève". C'est un très beau texte, poétique et sensible. On voudrait que le monde soit ainsi. Pouvoir avoir en soi la puissance de transformer son regard, d'inventer un filtre qui permette de voir au-delà des apparences, qui garde intact l'espoir de retrouver celui qui a dépassé la frontière de la vie.
C'est un livre sur la mort, sur le manque irréparable. Mais ce n'est pas un livre triste. Il porte en lui la nostalgie d'une amitié extrêmement forte. Il parle aussi de ce qui fait la vie des adolescents : la famille, les filles, l'école, les copains, le sport.
C'est un livre très pudique. Bien sûr, on sait dès le début que Peer est mort et un peu plus loin, on apprend qu'il a été atteint d'un cancer. Mais le mot n'est pas prononcé. On sent bien que la douleur de Jonie est grande, mais à aucun moment on ne tombe dans le mélo. Et puis il y a beaucoup de petits moments délicieux, les descriptions de la musique, du monde imaginaire de Peer, une façon de poser des questions profondément métaphysiques en parlant de l'île des Brumes. Il y a le père bourru qui refuse qu'on entre dans son atelier et qui offre à son fils un jeu d'échecs dont les pions sculptés dans du bois sont des musiciens. La ruse de Jonie et d'un autre garçon pour réaliser une photo de la belle Beryl et l'offrir à Peer pour son anniversaire. L'amitié fidèle de Charly Onnes, le passeur, pour la très vieille Mlle Stubbe. Les pièges à ragondins que les deux garçons sabotent. La réunion des amies de sa mère qui jacassent comme si Peer n'était pas là...
C'est un livre qui m'a fait penser à Antonio José Bolivar Proano (Le Vieux qui lisait des romans d'amour, Luis Sepulveda), qui dans sa forêt amazonienne, lisait des romans d'amour, des vrais avec des gens qui s'aiment et qui souffrent beaucoup, des romans qui parlaient d'amour avec des mots si beaux que, parfois, ils lui faisaient oublier la barbarie des hommes. Avec L'Île des Brumes, on peut oublier un moment la laideur de la mort.
Pour adolescents et jeunes adultes...

© Jean TANGUY - 31 janvier 1999