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Un roman de Guillaume
Guéraud,
publié aux Editions
du Rouergue,
en 2007,
dans la collection doAdo
noir
Nous sommes en 2037.
L'Impératrice Harmony a pris le pouvoir en 2017. Elle a
promulgué la loi Bradbury interdisant toutes les
images sur
la totalité du territoire de Rush Island. Il est interdit
d'en
voir, d'en posséder et d'en conserver... d'en produire, d'en
reproduire, d'en
importer et d'en diffuser, de
posséder des appareils
capables de
produire, reproduire, recevoir ou diffuser des images.
Un corps de police spécialisée est créé pour faire respecter
la
loi. Il aveugle les contrevenants en leur brûlant les yeux, sans
attendre la moindre procès.
Le niveau scolaire de la
population n'a jamais été aussi élevé, car elle lit énormément. Le
crime a quasiment disparu. Mais la population de l'île est constituée
de 20% d'aveugles.
Kao est un jeune de 15 ans fasciné par les
images. Il se procure des pages de journaux, de livres, de magazine,
auprès de Holden, le vieux gardien aveugle d'un cimetière.
Alors
qu'il s'apprête à en revendre, il assiste à l'aveuglement d'un
homme qui transporte sur lui, une revue et quelques prospectus
publicitaires. Il repère Emma, une fille-cocinnelle
-elle portait un tee-shirt jaune à pois noirs-
fortement bouleversée par la violence barbare de la Brigade de l'oeil.
Il la croit fragile, ne soupçonnant pas sa force et son engagement dans
la résistance.
La brigade est conduite par Falk, un personnage
hanté par un passé obscur. Un homme qui ne se console pas de
l'assassinat de sa femme et qui prend des drogues. Un fou violent qui
ne vit que pour la traque des
délinquants. Il n'hésite jamais lorsqu'il faut diriger son
chalumeau sur les yeux des terroristes
qu'il surprend avec des photographies.
Kao écoute les rumeurs. Il y aurait un stock de films cachés
dans l'île. Un de ses clients le met sur une piste. Pour preuve, il lui
fournit un minuscule
morceau de film - à peine sept centimètres de long. Rien
ne compte plus pour Kao à part retrouver ces films. Après avoir
rencontré les résistants du Diaphragme qui lui ont fait
connaître Charlie Chaplin, il met Emma dans la confidence.
Désormais les deux jeunes vont braver tous les dangers pour faire
savoir à la population de l'île que les images ne sont pas mortes, que
la télévision n'intoxique pas forcément, que le cinéma n'est pas un
poison mais qu'il emp^che d'oublier. Mais les dictatures sont féroces
et résistantes. Jusqu'où pourront aller Kao et Emma ?
Un
texte indéniablement violent et
sombre, auquel on accroche parce que l'écriture est rapide, rageuse,
parce les personnages sont denses, parce que le sujet rejoint nos
inquiétudes de voir le monde de plus en plus surveillé. Il
n'est pas
possible de lire ce roman sans penser au célèbre livre de
Ray
Bradbury, Fahrenheit
451, publié en 1953, et au film de François Truffaut en 1966, même si
c'est l'écrit qui disparait et non les images.
On pense aux mangas à cause du contexte qui évoque un pays d'Asie, de
la description de l'impératrice. On pense à tout le patrimoine
littéraire et cinématographique à cause du nom des personnages : Emma,
Holden (Holden Caulfied dans L'Attrape-Coeurs),
Faulkner, Falk (qui est peut-être le double télévisuel
de Colombo s'il n'est pas le capitaine au terrible secret du
roman de Joseph Conrad ?), Kaneshiro (l'acteur japonais-Taïwanais),
Strummer (chanteur des Clash ?) , Ulysse, Iliouchine, Doyle,
le lycée Pouchkine...
Quand Kao visionne Nuit et Brouillard, on voit la capacité des images à
témoigner de l'histoire, à garder la mémoire des moments les plus
importants. On a aussi un bel hommage à l'histoire du cinéma avec
l'évocation des Temps Modernes, et un autre dans la liste des films
cités dans le spages 260-264.
Mais si ce roman se termine dans la tragédie, l'amour de Kao et d'Emma
ne faillira pas, comme celui de Roméo et Juliette.
L'intrigue
se déroule à un rythme soutenu, les phrases sont courtes, presque
visuelles. Elles décrivent avec précision, et même avec raffinement,
des scènes de grande violence. Les personnages ont globalement
de l'étoffe, beaucoup de densité, de détermination. Certains
sont falots et pleutres comme ceux qui vont dénoncer Kao et
Emma aux miliciens et qui permettent à la dictature de durer. On est
dans la science-fiction, pourtant le monde est proche du nôtre si on
excepte les pyroculis et les galiscopes, ce qui accentue l'impression
d'actualité.
C'est
donc une ode au cinéma et à la littérature, un roman d'apprentissage,
un roman de sciance-fiction, un thriller, une réflexion sur la
dictaure, sur le contrôle de la pensée, sur le courage et la
résistance, sur l'importance de la mémoire, un roman qui dit aux
adolescents que la culture est un rempart contre la barbarie.
Pour
des lecteurs avertis à partir de 14-15ans. C'est vioment, mais pas plus
que Léon, Matrix et bien d'autres films que voient les adolescents.
© Jean
TANGUY -- 24
septembre 2008
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