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Mis à jour le 09 mai 2012
 

La brigade de l'oeil

Un roman de Guillaume Guéraud, publié aux Editions du Rouergue, en 2007,
dans la collection  doAdo noir

La Brigade de l'oeil Nous sommes en 2037. L'Impératrice Harmony a pris le pouvoir en 2017.  Elle a promulgué la loi Bradbury interdisant toutes les images sur la totalité du territoire de Rush Island. Il est interdit d'en voir, d'en posséder et d'en conserver...  d'en produire, d'en reproduire, d'en importer et d'en diffuser, de posséder des appareils capables de produire, reproduire, recevoir ou diffuser des images. Un corps de police spécialisée est créé pour faire respecter la loi. Il aveugle les contrevenants en leur brûlant les yeux, sans attendre la moindre procès. 
Le niveau scolaire de la population n'a jamais été aussi élevé, car elle lit énormément. Le crime a quasiment disparu. Mais la population de l'île est constituée de 20% d'aveugles.
Kao est un jeune de 15 ans fasciné par les images. Il se procure des pages de journaux, de livres, de magazine, auprès de Holden, le vieux gardien aveugle d'un cimetière. Alors qu'il s'apprête à en revendre, il assiste à l'aveuglement d'un homme qui transporte sur lui, une revue et quelques prospectus publicitaires. Il repère Emma, une fille-cocinnelle -elle portait un tee-shirt jaune à pois noirs- fortement bouleversée par la violence barbare de la Brigade de l'oeil. Il la croit fragile, ne soupçonnant pas sa force et son engagement dans la résistance. 
La brigade est conduite par Falk, un personnage hanté par un passé obscur. Un homme qui ne se console pas de l'assassinat de sa femme et qui prend des drogues. Un fou violent qui ne vit que pour la traque des délinquants.  Il n'hésite jamais lorsqu'il faut diriger son chalumeau sur les yeux des terroristes qu'il surprend avec des photographies.  
Kao  écoute les rumeurs. Il y aurait un stock de films cachés dans l'île. Un de ses clients le met sur une piste. Pour preuve, il lui fournit un minuscule morceau de film - à peine sept centimètres de long. Rien ne compte plus pour Kao à part retrouver ces films. Après avoir rencontré  les résistants du Diaphragme qui lui ont fait connaître Charlie Chaplin, il met Emma dans la confidence.
Désormais les deux jeunes vont braver tous les dangers pour faire savoir à la population de l'île que les images ne sont pas mortes, que la télévision n'intoxique pas forcément, que le cinéma n'est pas un poison mais qu'il emp^che d'oublier. Mais les dictatures sont féroces et résistantes. Jusqu'où pourront aller Kao et Emma ?


Un texte indéniablement violent et sombre, auquel on accroche parce que l'écriture est rapide, rageuse, parce les personnages sont denses, parce que le sujet rejoint nos inquiétudes de voir le monde de plus en plus surveillé. Il n'est pas possible de lire ce roman sans penser au célèbre livre de  Ray Bradbury, Fahrenheit 451, publié en 1953, et au film de François Truffaut en 1966, même si c'est l'écrit qui disparait et non les images. 
On pense aux mangas à cause du contexte qui évoque un pays d'Asie, de la description de l'impératrice. On pense à tout le patrimoine littéraire et cinématographique à cause du nom des personnages : Emma,  Holden  (Holden Caulfied dans L'Attrape-Coeurs),  Faulkner, Falk (qui est peut-être le double télévisuel de Colombo s'il n'est pas le capitaine au terrible secret du roman de Joseph Conrad ?), Kaneshiro (l'acteur japonais-Taïwanais),  Strummer (chanteur des Clash ?) , Ulysse, Iliouchine, Doyle, le lycée Pouchkine...
Quand Kao visionne Nuit et Brouillard, on voit la capacité des images à témoigner de l'histoire, à garder la mémoire des moments les plus importants. On a aussi un bel hommage à l'histoire du cinéma avec l'évocation des Temps Modernes, et un autre dans la liste des films cités dans le spages 260-264. 
Mais si ce roman se termine dans la tragédie, l'amour de Kao et d'Emma ne faillira pas, comme celui de Roméo et Juliette. 

L'intrigue se déroule à un rythme soutenu, les phrases sont courtes, presque visuelles. Elles décrivent avec précision, et même avec raffinement, des scènes de grande violence. Les personnages ont globalement de l'étoffe, beaucoup de densité, de détermination. Certains sont falots et pleutres  comme ceux qui vont dénoncer Kao et Emma aux miliciens et qui permettent à la dictature de durer. On est dans la science-fiction, pourtant le monde est proche du nôtre si on excepte les pyroculis et les galiscopes, ce qui accentue l'impression d'actualité. 

C'est donc une ode au cinéma et à la littérature, un roman d'apprentissage, un roman de sciance-fiction, un thriller, une réflexion sur la dictaure, sur le contrôle de la pensée, sur le courage et la résistance, sur l'importance de la mémoire, un roman qui dit aux adolescents que la culture est un rempart contre la barbarie. 

Pour des lecteurs avertis à partir de 14-15ans. C'est vioment, mais pas plus que Léon, Matrix et bien d'autres films que voient les adolescents. 

© Jean TANGUY  --  24 septembre 2008