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Un roman de Julia Kino,
publié chez Sarbacane,
en 2007,
dans la collection eXprim'
Ils habitent une ville qu'ils appellent
Here. Ils sont six, des lycéens, des filles (Angelina, Bianke et
Aberdeen)
et des garçons (Ingo de Ring, Cœur-Coupant et Malt) qui s'ennuient
ferme. Dès le début, Angelina prévient : Ma
vie coulait à pic. Je ne savais pas ce qu'on attendait de moi (...) Il
n'y a pas d'histoire de ma vie, il n'y a que le coeur lourd de mes
seize
ans et demi... Alors un jour qu'ils lézardaient dans un parc en
fumant des cigarettes, L'un d'eux a tué un homme qui passait là. La musique l'a empêché d'entendre Ingo se
lever et lui asséner la bouteille sur la nuque. Ensuite, ils lui
ont passé un bras sous la taille,
l'ont porté jusqu'au fleuve et se
sont mis en route.
Le lendemain, Ingo l'a reconnu : on a
transgressé les règles, et il a proposé qu'ils forment un gang, pour leur faire mordre la
poussière. Commence alors une période bizarre. Le jour, ils sont
des lycéens ordinaires. La nuit, ils deviennent des cows-boys à mains nues qui
tuent des gens qu'ils ne connaissent pas, des gens qu'ils croisent dans
la rue ou dans les boîtes de nuit. Tout de même, ils leur prennent leur
argent. Leurs meurtres n'ont pas de sens, ce n'est pas pour grandir, même s'il n'y a pas quarante façons de
grandir, il y en a deux mille. C'est pour leur faire payer, par
vengeance : la douleur que je
portais pour ces années perdues justifiait tout ce que je faisais,
dit Angelina.
Cette vie dure jusqu'aux vacances, sans que les parents ne s'inquiètent
de ce que doivent rapporter les journaux, sans que les crimes soient
punis... Nous ne saurons rien du carnaval
qui les entoure. Aux vacances, il y a un grand vide. Le groupe loue une
chambre et y passe quelques jours, à ne rien faire, sans sortir,
quasiment sans manger. Des démons les inquiètent. Coeur-Coupant
passe ses nuits à psalmodier dans son sommeil, des recueils entiers de
Musset, Fitzgerald, Vian, Nabokov, Dostoïevski, Arthaud, Montherlant,
Shakespeare, Morrison...
Cherchant une issue à leur histoire, ils fuient vers Budapest. Dans le
train, ils s'aperçoivent que Coeur-Coupant les a quittés, sans rien
dire. Les autres partiront aussi. Angelina vit une courte
histoire d'amour avec Malt, mais c'est quand même Coeur-Coupant qui lui
manque, son absence qui lui fait comprendre que la vie ne restait jamais ce qu'elle avait été. Peu à peu, le reste du groupe se délite. L'amitié qui semblait indéfectible ne les retient plus ensemble. C'en est bien fini du gang.
Angelina reste seule à Budapest et se met à écrire. Pas tout à fait seule, puisqu'elle rencontre Camilla. C'était
nouveau de connaître une adulte (...) J'ai eu de la chance de tomber
sur elle, de la fréquenter sans questions après tous ces orages.
N'importe qui d'autre m'aurait fait sentir mon infirmité. Elle était
parfaite (...) Et elle était merveilleuse.
Angelina finira par refermer la porte de ce carnaval, carnaval des brisés.
Avec tous ces crimes impunis, il faut de
suite abandonner l'idée de porter un jugement moral sur cette histoire.
Non, cette histoire n'est pas morale, mais qu'est-ce que ça change à sa
force et à sa qualité ?
Oserait-on porter ce genre de jugement sur un polar américain, sur un
thriller ? Nous voyons bien que le critère de moralité n'a rien à faire
dans la critique de cet ouvrage.
Au moment où s'ouvre le procès du meurtrier d'Ilan Halimi, dans un
entretien qu'il donne au quotiden Libération, le 29 avril 2009, Didier
Lapeyronie répond à la question de la publicité des débats (des accusés
étant mineur au moment des faits, le procès pourrait se tenir à huit
clos) en disant : "il faudrait que les gens aient la capacité de se
dire : J'aurais pu participer à ça". C'est exactement ce qu'il faudrait que se dise chaque lecteur de ce roman.
Il s'agit donc bien d'un roman violent, extrèmement violent. D'une violence
qui n'incite pas au passage à l'acte, mais qui est mise à distance du
lecteur par l'écriture très nerveuse de Julia Kino, saccadée, une
écriture "rock" pourrait-on dire au vu des références musicales de la
"bande-son" et qui rythment le récit. Par ailleurs, si cette
violence des meurtres nous percute, ils cessent à la moitié
du roman, quand le groupe se retrouve en vacances, avant de partir pour
Budapest. Il n'y a plus le lycée pour rythmer les jours. Le groupe a besoin d'être tout le temps, tout le temps
ensemble. Quelque chose est cassé dans la bande. Chacun se
trouve face à sa solitude à sa vie, à son devenir. L'errance dure encore un peu avant de passer à autre chose.
Angelina, la narratrice, nous raconte cette histoire qu'elle a
peut-être écrit quand elle s'est retrouvée seule à Budepest. Rien
n'indique qu'elle regrette quoi que ce soit. Elle a tué froidement,
elle a été amoureuse sans passion, elle a quitté ses parents et son
pays sans regarder en arrière. Ce qu'elle raconte est en fait une
histoire d'apprentissage. Il lui fallait dire cette période de folie,
pour enfin passer à autre chose, pour mûrir, quitter la caste des lycéens, la horde portant des barrettes et la moue, sa génération.
Il lui fallait passer par cette période difficile et complexe de
l'adolescence, rejetter le monde des adultes qu'on lui présentait, pour
y entrer quand elle pourrait et de la façon qui lui
conviendrait. A propos des adultes, il n'y en pas dans ce roman,
pas de parents, pas de professeurs, pas de flics... Il n'y a que
Camilla, mais c'est à Budapest.
Ce roman fait partie du corpus de "romans violents" étudié dans Lecture
Jeune, n° 128,
décembre 2008. Je l'ai lu en essayant de comprendre ce que peut
éprouver le lecteur qui lit ce genre de roman. J'ai été choqué par la
violence, mais elle ne m'a pas fasciné, elle m'a plutôt écoeuré.
Je me suis dit que, peut-être, si je l'avais lu à l'adolescence
et que j'avais eu des pulsions violentes, cette lecture m'aurait aidée
à leur résister. Mais bon, le but ultime du roman n'est pas d'être un
moyen thérapeutique...
J'ai bien aimé ce texte, son rythme, son
vocabulaire, son registre de langue, sa narratrice attachante, ses
personnages si singuliers qu'ils donnent envie de les approcher dans la
vraie vie. Il m'a accroché, vraiment...
On peut écouter Julia Kino lire des extraits de Adieu
la chair. Rechercher "romans urbains" pour trouver les fichiers sur
Youtube et surDailymotion, et écouter le début du roman, le poème de
la page 135, et la réflexion d'Angelina sur sa rencontre avec Camilla.
Pour garçons et
filles à partir de 15-16 ans et pour jeunes adultes et au-delà.
© Jean TANGUY --
29
avril 2009
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