|
 |
No Pasaran
|
 |
La nature du mal
|
 |
La citadelle des cauchemars de la mort qui tue
|
 |
Tant pis pour le Sud
|
 |
Un monde sans crime
|
No
Pasaran
Un roman deChristian Lehmann, édité à L'Ecole des
loisirs, 1997, dans la collection Médium.
Trompantla vigilance de leurs enseignants,
ils avaient préféré à la visite de Westminter, celle d'une
boutique de jeu londonienne. Mais quand le vendeur, un vieil
homme sans âge, avait vu l'insigne que portait Andréas au
revers de son blouson d'aviateur, il était devenu livide
et il avait forcé Éric et Thierry à accepter un jeu vidéo,
une disquette très banale, en leur intimant l'ordre d'y
jouer avec Andréas.
De retour en France, ils l'avaient installée sur leurs ordinateurs.
Et ils avaient choisi un mode jeu. Ou plutôt, un mode de
jeu s'était imposé à eux, avec un lien évident à leur vie,
leurs préoccupations, leurs idéaux, leur filiation idéologique.
Ce n'était plus un jeu, c'était une descente aux enfers
de la guerre, de la Seconde guerre mondiale. Ils devenaient
chef de guerre, phalangiste... Ils vivaient Guernica, la
prise de Boadilla. Un d'eux restaient sur le champ de bataille,
fusillé par ses pairs. Et ils en étaient réellement malades.
Mais Thierry et Éric, et Elena, la jeune Serbe réfugiée
qui y a joué par erreur, ne réagissent pas de la même façon
au pouvoir que confèrent les armes, que leur copain Andréas
qui porte tant d'admiration à la légion Condor...
Christian Lehmann a mis en scène des adolescents
passionnés de jeux vidéos, des fans de Doom II et autres
jeux gore, qui se sont trouvés piégés par un jeu infiniment
sophistiqué et sont devenus des acteurs de la Seconde guerre
mondiale. Les adolescents sont différents, surtout au niveau
de leurs appartenances idéologiques et de leur façon d'appréhender
la réalité sociale et de la critiquer. Il met le doigt sur
la violence que portent en eux ces jeunes et qui peut se
sublimer dans le jeu, ou s'exacerber jusqu'à déborder dans
la vie concrète. Le roman ne dénonce pas que la dépendance
du jeu. Il signale le cocktail explosif constitué par une
insertion sociale défectueuse, une absence de tolérance,
la fascination et le culte de la violence. Et le goût pour
la guerre, surtout. Pour la guerre idéalisée, portée au
rang de patrimoine de l'humanité, celle qui se vit sur la
blanche page d'un livre, celle qui n'est pas tachée par
la boue et le sang, la souffrance et la mort sur le champ
de bataille, celle qu'on voit de loin, à la télévision.
Le livre a obtenu le prix de Lire au collège (académie de
Grenoble) en 1997. Une lecture nécessaire.
Pour des lecteurs et lectrices de 13-14 ans et plus.
|
La
nature du mal
Un roman de Christian
Lehmann, édité à L'école des loisirs, 1998,
dans la collection Médium.
Le premier film d'un jeune cinéaste
français, Andrieu, a été un immense succès. Son second film
est l'échec complet. Pour redorer son image, Andrieu accepte
une mission pour le compte d'Amnesty International. Il part
rencontrer le colonel De La Pena, ministre de l'Intérieur
du nouveau gouvernement de San Felicio, une vague démocratie
qui succède à une dictature.
La Pena a été un enfant pauvre. Il a été arrêté à la suite
d'un vol. Sa sœur détenant des tracts politiques, ils
ont été interné dans la prison de Castel Morro, située sur
un îlot, en mer, près de la côte. Une prison d'où personne
ne revient. Il connaît le sort de tous les prisonniers :
l'enfer, monsieur Andrieu, est une pièce nue, éclairée
par un minuscule soupirail grillagé. Au milieu de la pièce,
il y a une trappe en bois avec un anneau. Si vous souleviez
la trappe, vous pourriez voir le début d'un chute en ciment,
assez large pour laisser passer un homme. Et si vous vous
allongiez sur le sol, monsieur Andrieu, près de la trappe...
et si, en vous accrochant bien à cause du vertige, vous
regardiez le long de cette chute, vous distingueriez l'eau
de la baie et la liberté. Le chef de la
prison, le colonel Guarneri prévient tout de même le prisonnier
qu'il enferme dans cette cellule, les eaux sont infestées
de requins et tous les prisonniers finissent par sauter...
La Pena saute, lui aussi. Par un concours de circonstances,
les requins sont occupés a se disputer les déchets de la
cuisine. C'est qu'en atteignant le rivage qu'il se fait
emporter la jambe par un requin. Et selon la légende,
ceux que Tiburon a marqué de ses mâchoires, et qui en ont
réchappé, sont à jamais différents des autres hommes. Leur
regard vient de plus loin, leur âme porte en permanence
les morsures de la mort, comme leur corps porte jusqu'au
dernier jour les marques de la bête. La Pena, recueilli
par des pêcheurs, rencontre El Jefe, celui qui combat le
gouverneur en place. Il se lie profondément à lui. Ensemble,
ils apprennent la peur aux paysans et, combats après combats,
renversent le pouvoir en place. La Pena devient ministre
de l'Intérieur, chef de Castel Morro. Il ne retrouve pas
sa sœur Clara. Il emprisonne Guarneri dans la fameuse
cellule. C'est lui qu'Andrieu va découvrir. Mais Guarneri
s'est laissé mourir de faim, volant ainsi sa vengeance à
La Pena.
Quand, le lendemain Le cadavre de Guarneri et La Pena ont
disparu, la mission d'Andrieu devient sans objet, inutile,
vide de sens. Qu'importe, il rencontre El Jefe. Ce qui lui
donne l'idée d'un film sur les deux guérilleros, un film
à succès...
Lehmann continue d'explorer le mal, la
violence, l'oppression, jusqu'aux tréfonds. Ce livre est
une plongée dans le mal, dans le mal total et absolu et
dans les arrangements politiques qui l'accompagnent. Les
personnages sont profondément amoraux : que ce soit La Pena
qui attend avec sadisme la mort de Guarneri, ou Andrieu
qui fuit la critique de son film, pour ne pas porter la
responsabilité d'actes violents que ce film a provoqué,
ou qui fait un film complaisant à partir de ce qu'il a appris
des deux guérilleros. Même si San Felicio n'est pas situé,
l'évocation des régimes dictatoriaux d'Amérique du Sud est
claire.
Le danger serait de ne voir que le dénouement heureux alors
que le cinéaste est lui-même à ranger du côté des monstres.
J'imagine toutefois qu'un lecteur normalement constitué
fermera le livre en étant dégoûté de cette violence, révulsé
par le pouvoir de ces hommes de régner par la terreur, écœuré
par la veulerie du cinéaste. Ce livre doit provoquer un
sursaut de conscience chez le lecteur, aiguiser sa vigilance
citoyenne, lever quelques illusions sur la bonté naturelle
de l'être humain.
A lire et à faire lire par des lecteurs déjà mûrs.
Pas avant 13-14 ans.
© 12 janvier 1999 |
La
Citadelle des cauchemars
Un roman de Christian
Lehmann, édité à L'école des loisirs, 1998,
dans la collection Médium.
Un cauchemar vient hanter Vincent chaque
nuit. Cela dure depuis la mort de son grand-père. Les rituels
soignés qu'il a mis au point pour tenter de dormir n'y font
rien, à deux heures du matin, le cauchemar est là, sa griffe
crissant sur le carreau de la fenêtre. Une nuit, il n'y
tient plus, il l'ouvre. Quand il la referme, rassuré d'avoir
vu que le tranquille paysage nocturne, la cauchemar est
là, une créature gigantesque dont "la voix évoque
le son d'une porte de granit se refermant lourdement au
fond d'une crypte". La Créature l'emporte pour
un voyage dans les airs vers la demeure du Gardien. En vue
de la Citadelle, Vincent préfère poursuivre à pied. Il traverse
le Marais de l'Ennui, sans trop se laisser distraire par
des spectacles qui rappellent trop des divertissements télévisuels
que nous connaissons. Au bout du Marais, la Créature se
dissout dans l'acide. Puis c'est Radegonde qui l'accueille
sur la terre ferme et qui l'accompagne jusqu'au bout de
son voyage.
La Citadelle est implantée au sommet d'une petite colline
de livres. Quatre vieillards l'accueillent, dont son grand-père
qui lui raconte qu'il a été "puni pour avoir manqué
à ses devoirs. Puni pour n'avoir pas eu le courage nécessaire."
Le courage d'utiliser "le Don de raconter des histoires.
Celui de créer de l'Incréé, de sauvegarder l'Imaginaire."
Le garçon apprend alors que son grand-père aurait dû être
écrivain, qu'il ne l'a pas fait par peur de se lancer dans
une incontrôlable aventure. Il découvre aussi que les trois
autres vieillards sont Howard Phillips Lovecraft, Allan
Poe et François Villon...
Vincent se réveille alors de son voyage imaginaire, le raconte
dans une rédaction qui change sa vie...
Dans une librairie, il demande à découvrir la collection
"sueurs froides" dont l'auteur est un certain
D. L. Stern, un auteur à succès qui reprend, en les caricaturant
les grands textes de la littérature de terreur. Le libraire,
qui connaît la Citadelle et qui sait reconnaître les Conteurs,
lui apprend que "D.L. Stern est un escroc muni d'une
calculette et d'une photocopieuse. Il pille les grands auteurs
des siècles passés, et transforme en bouillie prémâchée
pour des générations d'adolescents qui n'ont aucun moyen
de de savoir qu'on leur sert la copie au lieu de l'original"
Vincent gagne le même jour un A à sa rédaction et le grand
prix d'un concours organisé par "l'auteur le plus célèbre
de la littérature de jeunesse." Il le rencontre pour
une remise du prix qui tient plus de l'affrontement à la
vie à la mort que d'une conversation de salon...
Ce roman, qui tient plus du conte que
du roman de terreur, ne ressemble en rien aux précédents.
C'est une réflexion sur la littérature quand elle est utilisée
à des fins mercantiles. On ne peut s'empêcher de penser
à cet auteur de romans qui sont censés faire frissonner
et aimer la lecture. Avec un onirisme échevelé, Lehmann
règle son compte aux marchands du temple qui croient pouvoir
copier en toute impunité les grands auteurs, dont il cite
au passage quelques titres.. Il donne le statut de grands
récits structurant la personnalité aux romans fantastiques,
qui permettent d'ouvrir les yeux sur le monde qui nous entoure.
Il rappelle que les véritables écrivains ont le pouvoir
de "recréer ce qui a été perdu."
Qu'on peut encore lire en frissonnant Lovecraft, Sir Arthur
Conan Doyle ou les premiers romans de Stephen King. Que
seul un vrai écrivain -un Conteur- sait écrire des phrases
dont "la simple vision évoque pour des lecteurs
qu'il ne connaîtra jamais des paysages magnifiques, des
légendes sublimes, des monstres épouvantables (...) avec
des taches d'encre sur de la fibre végétale, faire naître
une émotion."
Voila pourquoi il faut lire ce roman qui, page après page,
avec une histoire fantastique, réhabilite la littérature
et en redit l'importance capitale.
Lecteurs de 13-14 ans et plus.
© Fin janvier 1999 |
Un
Monde sans crime
Un roman de Christian
Lehmann, édité aux Editions Payot &
Rivages, 1999,
dans la collection Rivages Noir.
Mathias Halpern est grand reporter.
Présent là où se déroulent des conflits, des lutes, il est
témoin de toutes les horreurs et les injustices. De retour
d´une enquête qui a mal tourné, à Ryad pendant l'opération
Tempête du désert, il tente de se réadapter à la vie française.
Déjà, à bord du Rainbow Warrior au moment de l'explosion,
il avait risqué sa vie. Au même moment, en France, sa compagne
mettait Sarah au monde. Sa fille, la personne qui lui est
la plus chère au monde. Alors qu'il se croit sans illusions
sur la noirceur du monde, Sarah est victime d'une tentative
d'enlèvement. Sa vie bascule. Une machination se déroule
dont il est la cible. Lui qui n'aspirait plus qu'à la tranquilité
d'un "monde sans crime", il voit ses anciens amis
tomber les uns après les autres. Ce qu'il croyait avoir
oublié, ou fui, redevient présent et s'impose à lui. Il
est confronté aux meurtres et à la raison d'état. Il tente
de protéger sa fille de tout cela. Il n'y parviendra pas.
Son ennemi le plus impitoyable le vaincra.
Ce roman est paru pour la première fois
aux Presses de la Renaissance en 1993. Son sujet n'est pas
sans évoquer celui de La nature du mal.
D'une part du fait de cet intérêt pour des affaires d'Etat.
D'autre part parce que la fiction romanesque et la réalité
se superposent : Si c'était vrai que des gens de l'ombre
tirent ainsi les ficelles ? Si c'était possible une telle
cruauté, une telle froideur qui donne plus de valeur à l'intérêt
personnel qu'à la vie d'autrui ? On tente de douter que
cela soit vrai, on espère que ce soit une fiction...
Un vrai bon roman noir, très noir, pour grands ados et adultes.
© 12 avril 1999 |
Tant
pis pour le Sud
Un
roman de Christian Lehmann, édité à
L'école des loisirs, 2000,
dans la collection Médium.
C'est trop peu dire que Céline n'aime
pas le Sud, elle en a horreur. Elle trouve que le Sud est
bête, brutal, vulgaire. De fait....
Elle décide pourtant d'y descendre, pour apprendre sur place
la raison du suicide de son cousin, Julien. Car elle n'est
pas vraiment convaincue qu'il se soit suicidé. La presse
avait dit que Julien avait basculé dans un autre monde,
un monde de sorcières, de fantômes et de puissances maléfiques,
dans lequel il avait perdu pied. (...) Mais que connaissait-elle
de lui, vraiment ? Elle veut comprendre. Son oncle
accuse un ancien animateur reconverti dans le commerce de
jeux de rôles d'avoir envoûté son fils. Le commerçant met
en cause le père et se défend que les jeux de rôles soient
plus dangereux que le foot ball. De fait, Céline se documentant
sur ces jeux, découvre qu'ils sont complexes et plus
subtils qu'on ne l'imagine trop souvent.
Au café, Céline fait connaissance de Sandra, une jeune fille
qui réagit vivement à des propos racistes et qui ne tient
pas la population locale en haute estime. Elle sympathise
avec cette fille dont la personnalité l'intrigue. Mais quand,
le soir, elle assiste à une conférence sur le sida et qu'elle
entend le conférencier parler de sidatorium, elle manifeste
vivement son désaccord et se fait exclure de la salle sans
que personne, surtout pas son oncle, ne la défende. Il est
vrai que son oncle ne peut rien dire, il est le photographe
patenté de la municipalité... Peu à peu, Céline découvre
la réalité pas très ragoûtante de cette commune,...
On devine alors que si Julien est mort, c'est peut-être
parce qu'il y avait quelque chose d'insupportable.
Une fois ce roman commencé, on ne le lâche plus. On a
hâte de savoir comment tout cela va se terminer. Pourtant,
on peut trouver que Lehmann en fait un peu trop : l'extrême-droite,
l'éviction en direct de la bibliothécaire, la conférence
truquée, le grenouillage de l'oncle, la séropositivité de
Sandra et son ordonnance à deux volets, les nazillons municipaux,
la mucoviscidose du maître du jeu de rôle, cela fait beaucoup...
Et aussi cette fin un peu tronquée, qui ne rend pas assez
justice à Julien, en ne rendant pas publiques les vraies
raisons de son acte...
Mais c'est écrit dans un style très tonique, avec de nombreux
rebondissements, une intrigue qui ne se dévoile pas avant
les toutes dernières pages.
Il faut s'attarder sur le traitement que Christian Lehmann
fait du thème du suicide. D'une certaine façon, Julien ne
s'est pas suicidé, il a été suicidé, poussé à se tuer. Il
est clair que les fréquentations louches de Sandra sont
des meurtriers, que Julien est mort par soif de pureté,
par refus d'une vie sale, malhonnête. Retenons, aussi, qu'au
cours de sa quête de vérité, Céline découvre une nouvelle
vie en devenant amoureuse et en perdant sa virginité, en
refusant d'être complice du méfait de son oncle.
Le plaidoyer pour les jeux de rôles permettra à ceux qui
ne les connaissent pas de découvrir qu'un bon joueur est
quelqu'un qui lit beaucoup.
Le thème de la dénonciation de l'extrême-droite est traité
de façon forte et intéressante. Après les événements de
ces dernières années, ceux qui oeuvrent à diffuser les livres,
tous les livres, apprécieront...
Un vrai bon roman d'action et engagé. Dès 14-15 ans.
© 11 octobre 2000 |
|