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Quand les trains passent...
Un roman de Malin Lindroth,
publié chez Actes Sud Junior,
en 2006,
dans la collection D'une seule voix.
Traduit du suédois.
Une femme, mariée ayant des enfants, raconte un événement dont elle a honte, après s'être tue pendant dix-sept années.
Elle était lycéenne, son petit ami s'appelait Johnny. Ca
faisait trois mois qu'on était ensemble. Il commençait à dire qu'il
faudrait qu'on baise, c'était clair, et pas seulement qu'on s'embrasse,
alors je comprenais, c'était du sérieux. Dans la classe, il y avait une fille, Suzy P. On
la trouvait vraiment pas possible (...) Silencieuse et pâle (...)
Toujours à l'écart. Et puis ces fringues bizarres qu'elle avait (...)
Elle était quelqu'un qui était toujours en dehors de tout. Vient à l'idée de quelques garçons de lui faire une blague, de la draguer. C'est Jonnhy, le beau mec,
qui s'en charge. SuZy P. ne comprend rien. Elle y croit. Elle ne
le lâche plus. La narratrice voudrait que ça s'arrête. Quand les
garçons commencent à avoir des idées, elle dit que ça paraissait
morbide et que je ne marchais pas dans la combine. Et puis j'ai fini
par accepter.
Elle tente de prévenir la jeune fille qu'elle est victime d'un
canular, car elle ne veut pas perdre Johnny qui n'est pas comme les
autres, dit-elle.
Elle lui fait promettre de lui donner une preuve d'amour. Il va le
faire, mais ce sera au-delà de tout ce qu'elle imaginait, pire que
tout... Une preuve qu'elle n'oubliera jamais.
Un texte qui se lit vite (moins de soixante pages en
gros caractères), écrit pour être lu d'une seule traite. C'est un
retour sur un moment douloureux que la narratrice ne peut oublier, dont
elle n'est jusqu'alors pas arrivée à parler.
La blague du groupe de jeunes était facile : Suzy P. était une fille
naïve, isolée, mal fringuée. La blague était surtout stupide et idiote.
La bande de jeunes a dérapé, perdant le sens le plus élémentaire de ce
qu'est une personne humaine. Aucun n'a été plus lucide et plus
courageux que les autres pour dire "stop, on arrête".
Le garçon rabaisse le viol a un niveau révoltant de banalité. La
narratrice, choquée, y assiste passivement. Puis, il y a le faux
témoignage en justice, des propos inconcevables pour la victime. Suzy
P. quittera la ville sans avoir obtenu ni pardon, ni réparation pour ce
crime impuni.
Ceux qui ont brisé la vie de Suzy P. étaient-ils encore des humains au
moment des faits ?
Un texte dur, dont les mots montrent implacablement la veulerie des
groupes des jeunes qui dérapent, qui dit toute la violence qu'ils
peuvent agir. Un texte qui pose plein de questions sans apporter de
réponses : pourquoi ce défi de la narratrice ? Quel sens ont les faux
témoignages ? Comment ce couple fondé sur une violence faite à autrui
peut-il vivre heureux et en paix ? Que transmettra-t-il à ses enfants ?
Que retire la narratrice de cet aveu tardif ?
Même s'il existe des séquences pédagogiques pour la lecture de ce roman
en classe, on ne le limitera pas à cette dimension éducative. Il
possède une qualité littéraire qui réside dans la force de son texte
qui remue le lecteur, qui s'impose à lui.
Ce roman fait partie de la sélection de romans violents de Lecture
Jeune, n° 128, décembre 2008.
Si la situation est très violente, cette violence ne définit pas à elle
seule le roman. J'ai plutôt ressenti la puissance du texte, sa force
d'évocation qui fait qu'on est saisi, révolté, dégoûté.
Cette lecture m'a fait penser à Djamila, de Jean Molla, même si les deux romans sont très différents.
Pour des lecteurs et lectrices à partir de 16-17 ans et des jeunes
adultes.
© Jean TANGUY -- 19 août 2009
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