|
Djamila Un roman de Jean Molla,
publié chez Grasset, en 2003,
L'incipit du livre donne le ton du roman : c'est un texte violent, fort, qui ne fait place à aucun faux-semblant, à aucune hyprocrisie. Difficile de savoir qui en est l'auteur avant la page 119, d'imaginer que cette scène décrivant un passage à tabac est un morceau du journal intime de Djamila, que Vincent a ramassé, dans lequel elle exprime ses souffrance de fille ayant subi la violence et l'humiliation d'une tournante. Elle était tombée amoureuse d'un petit caïd qui tirait ses revenus et son prestige des films pornos amateurs qu'il tournait avec les filles et les garçons de la cité, et qu'il revendait à un producteur de cinéma. Quand elle avait refusé, le garçon s'en était trouvé humilié et s'était vengé en la faisant tourner. On sait qu'il y a des tournantes dans les cités, et pas que dans les cités. On sait que des comptes se règlent à coup de battes de base-ball, que certains garçons boivent beaucoup, fument des joints. On sait que certains ados regardent des films ou des vidéos pornos, que leur fidélité est loin d'être totale, et que des filles n'hésitent pas à se mêler à leurs soirées. On sait qu'ils peuvent se faire justice entre eux. On sait tout cela. On fait semblant de ne pas savoir ou on choisit de se taire en attendant que jeunesse se passe. Parce que ça ne fait jamais plaisir aux adultes de s'avouer que "leurs" ados ne sont pas des enfants sages, ça dérange. Et ce livre est dérangeant. Pour ceci, et parce que l'auteur met en scène des jeunes qui ont aussi des qualités. Vincent avoue qu'il en a marre de ces films pour débiles où on voit des mecs et des nanas qui baisent comme ça. Comme si c'était aussi évident que de boire un coup. Et il dit de Hamid qu'il a comme signe particulier : une fidélité indéfectible et une générosité sans bornes. Un ami, quoi, un vrai. Ce ne sont pas que des bons ou des mauvais, ils sont l'un et l'autre, comme tout être humain. Le roman se passe quelques temps après le 11 septembre 2001. Valérie est allée à Gênes, au Forum social, où elle a subi la violence des policiers. Les deux jeunes savent qu'ils vivent dans un monde de violence et de haine. La violence de l'histoire de Djamila est en quelque sorte contenue dans une violence plus globale, plus mondialisée. Quand on commence la lecture de ce livre, on sait vite qu'on ne lâchera pas d'ici la dernière page et qu'il n'ya aura pas de happy end. Parce que ce que décrit Jean Molla est dur et glauque. Parce qu'il a subtilement travaillé son intrigue et qu'il nous tient ainsi en haleine. Parce qu'il a magnifiquement bien construit la psychologie de ses adolescents. Parce qu'il fait cohabiter avec bonheur, des jeunes de milieux sociaux et culturels fort différents. Parce qu'il ose parler des tabous bien actuels et bien réels, d'un univers noir et sans pitié, parfois même barbare, dans lequel les filles et les garçons sont dans des rapports de force et de soumission. Parce que, tout simplement, il écrit bien. Ce roman noir, d'allure policère, ne laissera personne indifférent. C'est une source d'information, et de formation, qu'on ne pourra pas recommander à tous à cause de sa crudité. A réserver sans réserve à des lecteurs à partir de 13-14 ans, aux grands adolescents, en les prévenant si possible de la vigueur du contenu, et aux adultes. © Jean TANGUY 1er mars 2004 |