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Mis à jour le 09 mai 2012
 
Vivre me tue

Un roman de Paul Smaïl, aux éditions Balland, 1997.

Vivre me tue Il est gardien de nuit au Modern', un hôtel de où des gens louent des chambres à l'heure, à la journée, à la nuit... Le jour, il est livreur chez Speedzza et il fonce sur sa mob, fendant l'air pour aller livrer une Napoli solo ou une Atlantic, des brownies et des Corona  chez des clients pas toujours agréables. 
Mais ce qu'il aime par dessus tout, c'est lire, et écrire, -il s'est juré de devenir écrivain et il écrit la nuit, sur l'ordinateur de son patron. Il cite Melville, Stevenson, Conrad, Gent ou Shakespeare. D'ailleurs, lui qui ne peut se présenter qu'en bougnoule. En bicot, en beur, en arbi, en craoui, en rat, en raton, en sidi, en nardène, en melon - au choix,  est titulaire d'un DEA de littérature comparée sous la direction de Mme Danièle Casenave, Paris-X -  Herman Melville en France : traductions, éditions et fortune critique...  Grâce à quoi il sera même libraire quelques semaines, faisant connaissance et devenant fou amoureux de sa collègue Myriam
Collégien, il s'était fait remarquer comme bon élève qui parlait bien et qui lisait, ce qui n'est pas si fréquent, hélas (Je n'ai jamais, je le jure !  jamais rencontré à Nanterre quelqu'un qui aime lire).  Du coup, on l'avait surnommé "l'Erreur" et à chaque interclasse, à chaque interclasse, je me faisais tabasser. Et à la sortie, je me faisais taxer. Tout y passait !  Jusqu'au jour où il est revenu chez lui sur ses chaussettes. Exaspéré, son père l'a recommandé à Monsieur Luis qui tenait une salle de boxe. Monsieur Luis était un homme de la vieille école, un castillan arrivé en France en 1939 sur les épaules de son républicain de père, qui disait  que la psyholochie, y est un truc de maricon, por les gonzesses, por les pédés.  Après quoi on l'a très vite respecté...
Son frère Daniel, son petit frère, son Queequeg faisait de la musculation à outrance pour oublier qu'un Maghrébin peut ne pas trouver sa place en France. Il notait dans un carnet, avec une précision maniaque, ses progrès en musculation, les quantités de nourriture ingurgitées chaque jour, et la liste des produits avec lesquels il salait sa soupe : des produits vétérinaires, des anabolisants, des totestérones... Il était devenu physiquement imposant et avait trouvé du travail dans un peep-show. Puis quelqu'un l'avait remarqué, un mec avec qui il était parti habiter à Hambourg. Un Turc qui avait germanisé son nom (...)  et qui avait fait fortune avec des salles de fitness, de bodybuilding, des snacks diététiques, des saunas, une radio FM, et sans doute des peep-shows, des porno-shops, des eros-centers. Abandonné par cet homme dans un hôpital de luxe, il est mort d'une immunodéficience , un empoisonnement par les toxiques qu'il avait ingéré...


C'est une chronique de la vie ordinaire d'un Beur parisien pas ordinaire. Intelligent, cultivé, il jette un regard lucide sur lui-même et sur le monde qui l'entoure. Un regard de colère sur tous ceux qui voient en lui l'arabe avant de voir la personne humaine. Un regard féroce sur tous ceux qui l'exploitent. Un regard affectueux sur ceux de sa famille. Il raconte le racisme de tous les jours et de trop de Français, l'injustice quotidienne qui lui est faite, la bonté des gens de la rue, son amour pour Myriam, une juive, les nuits dans son hôtel borgne, les courses à tombeau ouvert pour livrer les pizzas, sa tendresse pour son frère, sa douleur qu'il soit mort. Il parle de la mort de ses proches avec une émotion sincère et vraie.
Le tout dans une écriture superbe, grave et ironique, qu'elle soit académique ou en arabe de Barbès...
C'est un beau livre, drôle, jubilatoire, savoureux, plein de colère, de désespoir et de talent.

Pour des lecteurs adolescents à partir de 15-16 ans. A mettre absolument sur les rayons des CDI des lycées d'enseignement général et professionnels, ils adoreront...

© Jean TANGUY - 20 août 2000