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Un roman de Kressmann
Taylor, publié aux éditions Autrement,
en 2000, dans la collection Littératures.
Ce sont deux amis, Martin
Schulse et Max Eisenstein qui sont associés dans une affaire
prospère de commerce de tableaux à San Francisco.
Martin rentre dans son pays, en Allemagne, au début des
années 30. Max reste en Amérique et assume la
direction de la galerie. A la même époque, sa
soeur, Griselle, entame une carrière de
comédienne à Vienne. La première
missive de Martin nous apprend qu'ils ont eu une aventure, et que Max a
gardé le silence. Cette même lettre
démontre en outre que Martin est
décidé à faire valoir ses
intérêts personnels et qu'il a des ambitions
politiques. Très vite, on décèle qu'il
tire parti de la situation de son pays pour améliorer sa
position déja confortable. Il laisse percer son attrait
naissant pour le fuhrër : Franchement, Max, je crois
qu'à nombre d'égards, Hitler est bon pour
l'Allemagne, mais je n'en suis pas sûr (25 mars
1933). Rapidement, Martin va épouser les vues d'Hitler, le 9
juillet 1933, il lui écrit : Nous devons
présentement cesser de nous écrire (...) la race
juive est une plaie ouverte (...) je t'ai aimé non à
cause de ta race, mais malgré
elle.
Pourtant, Max continue de lui écrire, allant même
jusqu'à lui demander de prendre soin de sa soeur, Griselle,
après qu'un courrier lui soit retourné avec la
mention "inconnu à cette adresse". Martin lui refuse
l'asile, un jour qu'elle arrive [chez lui]
avec une horde de SA, qui défilaient sur le chemin,
pratiquement sur ses talons...
Max a compris, il n'est plus qu'un Juif que Martin
livrerait aux SA s'il se trouvait à leur portée.
Il continue d'écrire à Martin, jusqu'à
ce qu'une autre lettre lui revienne avec la même mention...
En moins de vingt lettres et
moins de soixante pages, Kressmann Taylor nous montre comment l'Histoire
peut s'introduire dans des vies particulières, les pervertir
et les détruire. Au début de cette correspondance
qui peut se lire comme un journal intime, c'est la distance qui
sépare les deux hommes. Puis ce sont leurs origines et le
choix politique de l'un d'eux. Au début, Max signe ses
lettres d'un "ton fidèle, Max". Après la mort de
Griselle, il signe "Que le Dieu de Moïse soit à ta
droite, Eisenstein". Comme il n'écrit plus que pour rendre
compte de son activité commerciale en des termes peu
compréhensible pour qui n'est pas initié, Martin
est soupçonné. Dès lors on attend la
chute, qui sera pourtant surprenante.
Taylor nous offre un aperçu terrifiant des
conséquences de l'inconsistance humaine, morale et
psychologique, de Martin, qui le conduit à adopter une
idéologie dont on sait les conséquences
terriblement dramatiques.
Avec une économie de mots et sans chercher d'effets, il nous
livre des pages abruptes et austères, qui nous parle du
tragique de la condition humaine, du vide de certaines existences, de
la folie des hommes.
Un grand texte à
ajouter aux romans que l'on doit faire lire aux collégiens
de troisième : La nuit, d'Elie Wiesel, Si
c'est un homme de Primo Levi, La danse interdite
de Rachel Hausfater-Douieb et quelques autres
A partir de 14 ans.
©
Jean
TANGUY 17 décembre 2001
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