Si la couverture des romans signale que l'histoire se déroule Dans le monde de l'extrême beauté, la série ne se limite pas au culte de la beauté physique et de la perfection corporelle. La société dans laquelle vivent les héros de ces aventures est tout sauf tendre et tolérante. Si l'idéologie apparente est celle de l'égalité, de l'absence de pauvreté, d'une jeunesse de plaisirs, c'est au prix de la perte de son individualité, de son intimité, de sa liberté. Ce qui est présenté comme le suprême bonheur fascine les jeunes Uglies au point qu'ils perdent tout sens critique et se soumettent aveuglément à un protectionisme qui prend en charge toute leur vie.  Cette abdication de soi vaut-elle ce prix ? 
 Les thèmes et les rebondissements du premier volume sont riches et variés, avec des choses mystérieuses, des amitiés fidèles ou parfois trahies, des rébellions, des aventures périlleuses permises par des technologies évoluées. Et déjà, il est question d'écologie..

 Le deuxième volume continue de poser des questions sur la protection de l'humanité contre sa propre violence, sa propension à dilapider les ressources énergétiques, la définition du bonheur. Scott Westerfield insiste sur l'importance de la mémoire et de la vigilance citoyenne. Il montre jusqu'à quelles pratiques des jeunes peuvent aller pour trouver un sens à la leur vie (ici, faire partie d'une sorte de secte qui se fait volontairement des scarifications pour être plus qu'intense), pour ne plus vivre dans l'uniformité. Faire partie des Pretties ne suffit pas aux personnages qui vivent dans ce roman, en recherchant tous les moyens de rester intenses, ils veulent être maître de leur vie .
 On apprend, au passage, que les Pretties nomment Rouillés ces humains qui vivaient quelques siècles auparavant et qui utilisaient beaucoup de métal dans leurs villes et dans leur vie. Ils se faisaient la guerre, ils pillaient allègrement les ressources naturelles, ils vantaient la beauté dans leurs magazines alors qu'ils étaient moches et finissaient vieux et encore plus moches...
 On regrettera l'abus des mots intense et foireux qui auraient mérité que l'auteur leur trouve quelques synonymes...  Dans une bonne moitié du livre, l'histoire traîne parfois en longueur, comme si la vie à New Pretty Town était devenue ennuyeuse pour les personnages. Mais quand ils retournent dans la nature, l'action retrouve de la vigueur. La fin du livre est passionnante et laisse présager de nouveaux rebondissements dans les relations de Tally avec David et avec Shay. Les trouvailles techniques de Westerfield sont toujours aussi inventives.

Dans le troisième volume, Tally est programmée pour éliminer les rebelles de la Nouvelle Fumée. Elle arrive à garder sa liberté de choisir, notamment à cause de son amour pour Zane. Mais la situation des villes a évolué. Désormais les Pretties peuvent être lucides. Chacun peut choisir d'être beau, mais en gardant sa conscience libre et éveillée. Il ne s'agit donc plus d'être conforme à une beauté idéale, mais de choisir, de se confronter à soi-même et aux autres, de décider. Les rebondissements sont toujours aussi nombreux et... intenses, mais la réflexion gagne en profondeur. Le choix de Tally de rester avec David dont elle est toujours amoureuse, de ne pas abandonner son apparence physique et ses capacités de Specials, le "manifeste" qu'elle écrit pour ses amis, autorisent à penser que le 4e volume de cette série sera plus qu'intense, plus que glacial, extra... Tout en laissant planer un grand mystère sur l'histoire que nous fera lire Scott Westerfeld.

 Ce qui devait être une trilogie s'enrichit d'un quatrième volume, lequel nous fait la surprise d'un cinquième volume... Il ne faudrait pas que Westerfield nous fasse le coup de céder à la célébrité de cette "série-culte" en publiant dix ou quinze volumes...
Ceci dit, ce quatrième volume est tout aussi palpitant que les précédents. Les poursuites et les traques semblent même plus haletantes et les trouvailles technologiques sont toujours aussi inventives. Le roman est une satire d'une société où ce qui compte est davantage la célébrité que l'expérience personnelle de ce qu'on vit. La jeune Aya est désarmante dans son entêtement à devenir célèbre, à filmer tout ce qu'elle peut, sans penser aux conséquences. En mettant en scène une jeune fille qui s'amuse à "claquer" des histoires pour devenir célèbre, Westerfeld montre, avec une ironie bon enfant, ce qui arrive lorsque les médias deviennent un marché qui détermine la valeur de l'individu, lorsqu'il n'existe plus de régulation, de moyen de vérifier la validité de l'information. C'est une belle évocation de ce que pourrions vivre.  La caméra d'Aya est une sorte de prolongement de son être physique, un oeil qui voit tout, qui enregistre tout, une sorte de "Big Brother".  Elle fait penser aux portables des adolescents qui semblent être un indispensable appendice physique et qui, toujours connectés, les font vivre dans une relation de présence constante dans leur cercle relationnel. 
Tally n'est plus la personnage principal, ce qui surprend, au début du roman. De même, sa relation avec Aya est plutôt empreinte d'une rude violence qui la rend moins sympathique que dans les précédents volumes. Mais il est vrai que son statut a changé depuis le manifeste qui clôt Specials.    

J'attendais le cinquième volume avec impatience. Au premier regard, le fait que ce soit un guide m'a déçu. A tort, car ce livre est une très intéressante rencontre avec l'auteur et une somme d'informations sur cet univers. Le ton est celui d'un dialogue avec des adolescents, précisément des collégiens, ce qui le rend très aisément lisible. Le guide fourmille de détails qui étoffent la perception que l'on peut avoir eu de ce monde. Par exemple, pour ce qui me concerne, je me suis aperçu que je n'avais pas bien saisi la raison et l'importance de la tentative des Extras de déplacer l'hunmanité hors de la planète Terre... Il contient aussi son lot de réflexions sur le gaspillage des richesses, les méfaits du culte de la beauté ou de la réputation, sur la recherche de la paix. 
Je trouve qu'il serait dommage que les CDI et les bibliothèques qui ont acquis les quatre premiers volumes se privent de celui-ci.    
  
Dans l'ensemble, cette série est de grande qualité. Le rythme du récit, les questions posées et les nombreux rebondissements tiennent le lecteur en éveil. Les thèmes abordés, la rébellion de Tally, les aventures dans la nature aussi bien que dans ce monde du futur, l'usage des technologies, la survie de la planète, tout ceci est proche des soucis et des conceptions de vie des adolescents. 


Une série de 1.800 pages tout à fait intéressante et passionnante. A partir de 13 ans.