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Mis à jour le 09 mai 2012
  Quand j'étais soldate
  Une bouteille dans la mer de Gaza

 

  Quand j'étais soldate

Un roman de Valérie Zenatti, publié à L'Ecole des loisirs, en 2002,
dans la collection médium.

Quand j'étais soldateValérie Zenatti a été soldate, dans la prestigieuse armée israélienne. En hébreu, tous les féminins existent. On dit soldate. Pendant 24 mois (pour les garçons, c'est 36 mois), entre 1988 et 1990, à l'époque de la première intifada, elle a fait partie de Tsahal.
Elle a été incorporée juste après son bac, devenant le matricule 3810159, un tout petit maillon de Tsahal. D'abord dans un camp, non loin de Tell-Aviv, une sorte de colonie de vacances où les filles vivent toujours ensemble, obéissant aux ordres d'une caporale guère plus âgée qu'elles, soumises aux mêmes horaires.
A un âge où l'on a envie de se singulariser, elles portent des vêtements auxquels il ne faut pas faire de retouche, même pas à la jupe coupée comme un sac de pommes de terre. La vie est épuisante, mais plutôt conviviale. Elle raconte les papotages avec les copines de chambrée, les attentes au milieu de la nuit, devant l'unique cabine téléphonique, la vaisselle pour soixante-dix... Elle donne le sentiment que la vie militaire est souvent bizarre, illogique, voire absurde, que c'est une vaste mascarade acceptée de toute la nation, que le but de tout cela reste peu évident...
Mais on sent que la guerre n'est jamais bien loin quand on dit aux soldates de ne jamais quitter leur pistolet-mitrailleur Uzi : nous devons les porter constamment sur nous, ou les laisser attachés par un cademans à notre lit (et si quelqu'un vole le lit ?). Et lors d'une garde, si quelqu'un continue d'approcher, après les sommations d'usage, tirer dans l'intention de tuer. On leur a donné une plaque d'identité, une médaille rectangulaire et plate, divisée en son centre par des pointilés, qui ne doit jamais les quitter. En cas de mort au combat, si on ne peut ramener le corps, on casse la médaille en deux et on rapporte le moitié cassée à la famille. On est dans un pays hautement militarisé, un pays où lorsque le fils du voisin est tombé, chacun sait que c'est à la guerre.
Les classes achevées, elle est nommée dans une unité de services secrets. Elle y côtoie des filles de familles aisées de la banlieue nord de Tell-Aviv, qui viennent à la base dans la petite voiture qu'on a eu pour ses dix-huit ans. Elle, elle est de Beer-Sheva, c'est beaucoup plus difficile de s'y rendre pour les rares et trop courtes permissions que l'armée lui octroie. Elle retrouvera donc un ami qui lui fera découvrir Tell-Aviv, où elle oublie qu'elle est soldate. Elle prendra l'autocar qui traverse des villages palestiniens sous des jets de pierre, pour se rendre à Jérusalem, la ville qu'elle aime.


Voici un témoignage autobiographique touchant qui se lit d'un trait et qui sonne juste. Valérie Zenatti est née en France, elle a habité Nice avant que sa famille n'émigre en Israël. Elle parle le français et a appris l'hébreu au lycée. On lui a dit que l'armée est une expérience, l'école de la vie. On peut le croire, même si Israël est le seul pays où l'on obtient le statut d'adulte en faisant son service militaire, juste après le bac, dès 18 ans, garçons comme filles. Il est intéressant de voir qu'à l'âge où les jeunes françaises deviennent femmes en passant le bac, en acquérant de l'indépendance, en s'habillant à la mode du moment, les jeunes filles israéliennes entrent à l'armée pour deux années, vivent sous les ordres des gradées, s'habillent d'un identique treillis et d'une doudoune vert-armée. Intéressant de voir, aussi, que filles et garçons considèrent l'armée comm une vaste catalogue où elle trouveront l'âme-soeur !
L'auteur raconte cette époque de sa vie avec un humour constant, comme une période très ordinaire. Elle alterne un regard cynique, un doute très ironique, un optimisme total. Elle tient des propos mesurés sur la cohabitation complexe avec les Palestiniens -en fait, ils ne se connaissent pas, ne se fréquentent pas- et on ne peut douter de sa prise de parti pour le clan de la paix. Après nous avoir raconté son bac, son travail de l'après-midi (elle n'a cours que le matin) et sa vie de famille, elle nous fait partager les bons moments avec les copines, ses joies et ses peines, ses chagrins de jeune femme, sa peur de ne pas réussir la formation qui la fera accéder aux services secrets, sa fierté d'être soldate comme les garçons, sa passion pour la musique (le Requiem de Fauré) et pour la lecture, son amour pour Tell-Aviv et Jérusalem, son goût des autres.

Si ce n'était une autobiographie, ce serait un roman d'apprentissage, drôle et captivant.

Pour des lecteurs adolescents et adolescentes, et pour jeunes adultes et adultes.

 © Jean TANGUY   06 ocotbre 2002  

 

  Une bouteille dans la mer de Gaza

Un roman de Valérie Zenatti, publié à L'Ecole des loisirs, en 2005,
dans la collection médium.

Une bouteille dans la mer de GazaJérusalem, 9 septembre 2003.
Ce sont des jours de ténèbres, de tristesse et d'horreur,. La peurt est revenue. 
(...) une explosion venait de se produire tout près de chez nous.
Une explosion, c'est forcément un attentat.
(...) Le terroriste s'est fait exploser à l'intérieur du café Hillel. On a ramassé six corps. Ca s'appelle un attentat moyen (...). Une jeune fille est morte, en compagnie de son père. Elle devait se marier aujourd'hui.

Tal a 17 ans, elle habite Jérusalem. Elle a envie d'y vivre, pas d'y mourir. Elle rêve de bonheur et de paix, mais elle a peur et ce qu'elle écrit, jour après jour, c'est ce qu'elle voit, ce qu'elle vit, ce qu'elle espère et ce qui la déconcerte. Elle a l'idée qu'il faut que là-bas, à Gaza, quelqu'un lise ce qu'elle écrit de sa vie d'israélienne à Jérusalem. Elle glisse une lettre dans une bouteille qu'elle donne à son frère Eytan, en lui demandant de la jeter dans la mer, devant Gaza où il effectue son service militaire. Il y met son adresse électronique, un des seuls moyens de communiquer avec quelqu'un des terrtoires. C'est un jeune homme, Naïm qui trouvera la bouteille et qui lui répondra en utilisant un pseudo, "Gazaman". Car il lui faut se cacher pour correspondre avec une Israélienne s'il ne veut pas être accusé de pactiser avec l'ennenmi.  Tal et Naïm sont partagés entre un espoir fou de vivre en paix et une réalité qui semble s'évertuer à repousser sans cesse cet espoir, comme cette soirée du 4 novembre 1995 où Yitzhak Rabin est assassiné. Pas par un Palestinien, mais par un Juif isaélien.  Au fil de leur correspondance, ils découvrent que leurs condition de vie sont différentes. Tal est libre d'aller et de venir, de parler, de rencontrer qui elle veut. Naïm vit  dans des conditions matérielles difficiles, enfermé dans Gaza, dans un monde étriquée et limité.
Le père de Tal, documentariste, lui demande de filmer Jérusalem tel qu'elle voit cette ville.  Un matin, dans le rue Gaza, elle filme lorsque le bus 19 explose. Tal est choquée, à l'hôpital, on lui donne des antidépresseurs pour l'aider à se remettre. Cela va durer des mois. Pendant ce temps, Naïm part en Angleterre faire des études de médecine. Avant de partir, il donne rendez-vous à Tal dans trois ans, le 13 septembre 2007, à midi, à Rome devant la fontaine de Trévise. (...) J'aurai ta bouteille sous le bras.
Ils taisent leur amour naissant, mais leur amitié est un espoir...


 Dans ce roman, on voit bien que les Israéliens et les Palestiniens ne se connaissent plus, que leurs mondes sont différents, séparés et opposés , qu'ils ne peuvent plus se somprendre.  Ils en souffrent, ils sont malheureux, certains deviennent violents, fatigués d'attendre une paix toujours promise et sans cesse repoussée.  Comment, alors, se rencontrer ? De ce point de vue, Tal et Naïm sont des privilégiés : tout en étant séparés, chacun dans son territoire, ils se parlent, ils font connaissance. 

Le livre de Valérie Zenatti même avec bonheur, de l'actualité, de l'histoire des relations israélo-palestiniennes et du romantisme (la bouteille si pleine d'espoir...). Il actualise -si on peut dire- la correspondance de Galit Fink et Mervet Akram Sha'ban, Si tu veux être mon amie, publiée chez Gallimard, en 1988. Pendant une année, deux adolescentes, une juive et une Palestinienne, se sont écrit des lettres, apprenant ainsi les conditions de vie de l'une et de l'autre. Ici, c'est un garçon et une fille plus âgés qui utilisent la messagerie électronique. Les deux filles étaient plus que nos deux jeunes, marquées par les préjugés de leurs communautés. Ceux du roman sont un peu plus libres et critiques, mais le contexte s'est durci, est devenu plus violent au fur et à mesure que les espoirs de paix se sont évanouis et que les Intifadas se sont succédées. 
La correspondance par messagerie électronique rend possible un climat relativement dépassionné par le fait que les interlocutaurs sont à distance, qu'ils ont pour se répondre, le temps d'une réflexion qu'ils nous font partager. Ce qu'ils disent ne pourrait être exprimé dans une conversation orale, même téléphonique. Ce procédé entraîne aussi le lecteur dans cette réflexion,  dans une forme d'empathie avec les deux jeunes, qui fait qu'on peut, nous aussi, être attentif à connaître la réalité de l'autre, à éprouver leurs émotions, leurs anxiétés. A rêver comme eux, à la paix, à la vie dans leur monde si complexe. 
J'ai apprécié la façon dont l'auteur fait éprouver l'horreur de l'attentat contre le bus 19 sans rien en dire, uniquement par l'attente anxieuse de Naïm pendant les jours d'hôpital de Tal. J'ai apprécié, aussi, l'impartialité de l'auteur qui a vécu en Israël et qui aime ce pays.  Au palisir de la lecture s'ajoute celui de prendre -ou reprendre- connaissance du contexte historique et politique de ce pays.

On ne pouvait espérer une fin heureuse à cette histoire. Où c'est qu'on ne connaît rien de la réalité d'Israël ! Leur éloignement n'est que provisoire. Leur amitié cache leur amour  et lui donne le temps de s'éclore. C'est donc bien un espoir, un signe que même là où la peur et la mort règnent, la vie reste la plus forte. 

Pour des lecteurs et lectrices  de 14-15 ans et plus. 

 © Jean TANGUY   18 septembre 2005