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Le combat d'hiver
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Le chagrin du roi mort
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Le
Combat d'hiver
Un roman de Jean-Claude
Mourlevat, publié chez Gallimard Jeunesse,
en 2006
Milena
Bach accompagne Helen Dorman
chez sa Consoleuse. Pour pouvoir quitter leur internat, Helen a dû
accepter qu'une élève soit mise au Ciel si l'une d'elles ne
rentre pas. La surveillante a choisi la petite Catharina Pancek.
En
chemin, elles rencontrent
Bartolomeo
Casal et Milos Ferenzy, des garçons de l'autre internat. C'est si rare
qu'ils s'arrêtent, se parlent, se déclarent amis, échangent leurs noms
et se promettent de s'envoyer clandestinement des nouvelles. Mais ils
n'ont guère le temps de faire plus ample connaissance, car le temps
presse. Helen doit rencontrer Paula pour faire le plein d'énergie et
se rassasier d'amour. Quand Helen quitte sa Consoleuse,
Milena ne l'attend plus. Elle rentre seule et Catharina Pancek est
envoyée au cachot.
Dès son retour, Helen écrit
à Milos
qui lui propose un rendez-vous. Sur les toits de l'internat, il lui
apprend que Bartolomeo a reçu d'un homme-cheval, une lettre de son
père. Datant de quinze années, elle lui a appris que tous les
jeunes des internats ne sont pas des orphelins comme les autres
(…) leurs parents ont tous lutté contre la Phalange quand elle a
pris le pouvoir.
Elle apprend que c'est avec Bartolomeo que Milena s'est enfuie. Milos
l'entraîne
ensuite dans les greniers de l'internat d'où ils assistent à une
assemblée de la Phalange. Désormais conscients de ce qui se passe dans
le
pays, à leur tour, ils décident de s'enfuir. Avant, ils vont chercher
Catharina qui a été libérée avec la complicité de sa gardienne.
Mais la police de la Phalange se met à leur poursuite. Avec ses
meilleurs hommes-chiens, Bombardone Mills a pris en chasse
Bartolomeo et Milena, mais va se trouver sur la piste des deux autres.
A plusieurs reprises, les deux couples se
croisent sans le savoir. Chacun rencontre des résistants qui vont
les aider.
Sauf Milos qui va être capturé, emmené dans un camp d'entraînement et
qui
devra livrer le premier combat de l'hiver...
Ce
récit est principalement narré par Helen, mais aussi par d'autres
personnages, généralement des résistants. Cependant, dans quelques
chapitres, Mills et Gus Van Vlick racontent les événements de
leur point de vue.
S'il est clair que c'est un roman de
science-fiction, l'intrigue se
déroule dans un univers partiellement fantastique. Le contexte d'une
dictature cruelle est certes classique, mais les minorités ethniques
composées d'hommes-chiens sanguinaires et d'hommes-chevaux fidèles et
courageux, créent la dimension fantastique. Ou plutôt étrange, car ils
sont employés d'une façon discrète. De même que les Consolantes, ces
imposantes correspondantes que les jeunes ont de droit de rencontrer
trois fois l'an.
On a l'impression d'être au
milieu du 20e siècle, avec cet autocar qui semble antique, l'absence
des technologies actuelles. Des lieux sont reconnaissables. Les
paysages qu'il décrit sont les nôtres dès qu'on quitte les villes. Les
noms des
personnages sont européens. La dictature qui est décrite fait penser à
celle de Franco en
Espagne ou à la dictature de Pinochet au Chili. La pianiste Dora fait
penser
au guitariste Victor Jara. Et quand Bartolomeo et Milena sont sur le
pont Royal, devant les chars, qu'il lève
la paume de sa main droite vers eux, comment ne pas penser à la
place Tian'anmen ?
Cette sombre et cruelle dictature
haineuse est comme combattue par des relations d'amour ou
d'affection. L'histoire d'amour de Bartolomeo et Milena est lumineuse,
ainsi que, d'une toute autre façon, celle Milos et Helen. Entre Dora et
la chanteuse Eva-Maria Bach survit une affectueuse fidélité. Les
hommes-chevaux sont fièrement fidèles au souvenir du père de
Bartolomeo. Et même le sanguinaire Van Vlyck est amoureusement fidèle à
une femme, à un point tel que le lecteur pourrait éprouver quelques
sentiments de sympathie.
Dans ce roman, le chant apporte la
magie, car le peuple est amoureux d'une voix. C'est ce qui le fait
vivre, ce qui lui donne le courage de se révolter, de risquer sa vie
pour regagner sa liberté.
La fin de l'histoire est un peu trop
rapide et prévisible. Mais l'épilogue est une ode au courage et à
l'amour.
Ce roman est écrit avec beaucoup de
force, sans effets faciles, avec juste ce qu'il faut de
rebondissements. On ne le lâche pas. Il démarre doucement, presque
tendrement quand Helen va chez sa Consolante, puis devient haletant
lorsque les jeunes se sont enfuis et que la chasse à l'homme est
lancée. Derrière l'atmosphère terrifiante de la dictature,
l'oppression, la brutalité, la barbarie des jeux du cirque, il y a la
force de la vie, l'espoir de la liberté, le refus de l'esclavage, la
détermination à secouer le joug de la dictature, l'exaltation de la
lutte dans la résistance. Si on est pris par la lecture, c'est parce ce
que l'histoire est presque réelle, parce que les personnages ont une
vraie
épaisseur humaine.
Très beau livre, dont les 330 pages
plairont à des lecteurs dès 13-14 ans et bien au-delà.
©
Jean TANGUY 2 avril 2011
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Le
Chagrin du roi mort
Un roman de Jean-Claude
Mourlevat, publié chez Gallimard Jeunesse,
en 2009
C'est une petite île froide,
quelque
part dans le Nord. Le vieux roi vient de mourir. Son corps repose sur
la Grand-Place centrale, allongé sur un lit de pierre. Il était
très aimé et tous les habitants défilent pour le saluer une
dernière fois sa dépouille. Bravant le froid, les deux jumeaux,
Aleksander et Brisco se sont joints à la foule. Les enfants n'ont
jamais vu autant de monde rassemblé, dans le silence, attendant
sereinement leur tour. C'est d'abord le celui de Brisco, puis juste
après celui d'Aleks qui fait un pas de côté et reste à regarder
le vieux roi. C'est alors qu'il le se redresse et s'assoit
sur le bord du lit de pierre, et qu'il dit au garçon "Brisco,
attention au feu, au feu qui
brûle...". Aleks
demeure immobile devant la dépouille du vieux roi, jusqu'à ce que
son père vienne le chercher alors qu'il est à moitié gelé.
Peu
après, les deux garçons se rendent à la bibliothèque. C'est un
palais des livres, un édifice grandiose avec d'ingénieuses galeries
dans lesquelles on circule dans de petits wagons qui roulent sur des
rails. Les lecteurs pouvait choisir tel ou tel wagon qui les emmenait
vers les salles de lecture de romans, d'encyclopédies, de contes...
Ce jour-là , il y a soi-disant un problème. Une femme monte
avec eux dans un wagonnet pour les conduire. A un moment, Brisco est
enlevé.
Les
deux garçons vont grandir séparés. Brisco est emmené dans le
château de Guerolf, qui convoite la Petite Terre. Aleks reste seul,
désespéré...
Quelques
années passent. Les enfants sont devenus des jeunes hommes. Brisco a
appris la vie d'un jeune seigneur qui devra, un jour, guerroyer.
Aleks est devenu menuisier. Guerolf mène des guerres. La Petite
Terre est conquise avec facilité. Aleks est enrôlé et part sur la
Grande Terre, puis sur le Continent. C'est là, au pied des murailles
d'une forteresse imprenable qu'il tombe amoureux de Lia. Il déserte
et s'enfuie avec Lia dans un hiver terrible. Aleks
sera repris et, comme il est déserteur, promis à la mort.
Lia et Aleks vont se chercher longtemps. Se retrouveront-ils ? Et
comment
Aleks retrouvera-t-il Brisco malgré
la guerre ?
La Louve le leur avait dit : Brisco et Aleks ont un destin, chacun leur
leur...
Jean-Claude Mourlevat a écrit un
superbe texte pour nous raconter de belles histoires d'hommes
et de femmes, pleines d'humanité.
C'est un conte, avec les querelles de
pouvoir, des moments fantastiques, une sorcière qui mange des queues
de rat, de la magie, des grandes étendues, un château, une adorable
petite ville, une guerre atroce et sans fin, le froid, la faim,
quelques personnages infâmes, des secrets de familles, des gestes de
courage, d'amour, des fidélités et des amitiés sans faille...
La psychologie des personnages est
fouillée, ainsi que les relations : la fraternité des deux frères dont
l'un a été adopté, la froideur vicieuse de Guerolf, l'ambiguité de La
Louve qui reporte son affection sur Brisco, l'enfant qu'elle n'a pas eu,
la bonté et la fidélité de Baldur, la tendresse des parents d'Aleks, la
déchirure de Brisco. Et ne n'oublions pas la relation qui unit Lia et
Aleks, qui se chercheront pendant des années...
Tout
ceci est raconté dans une écriture magnifique, très sensible et
claire avec des pointes d'humour, un sens poussé du drame et du
romantisme, selon les moments. La fin nous laisse un peu sur un manque,
comme dans la vraie vie...
Beacoup de lecteurs sont davantage
touchés par Le combat d'hiver,
qui m'a fasciné. Je dois dire que celui-ci m'a touché et ému.
J'ai été sensible à la beauté calme de la Petite Terre et à la magie de
la bibliothèque. J'ai eu froid dans l'hiver de la guerre. J'ai été
choqué par la barbarie de cet inutile conflit. J'ai frémi devant
l'appétit de la sorcière Brit. J'ai été triste avec Aleks qui cherchait
Lia, j'ai été sensible aux retrouvailles d'Aleks avec ses parents, j'ai
tremblé de crainte un instant quand Lia est arrivée dans la cour carrée
de l'atelier d'Aleks... L'écriture de Mourlevat possède ce pouvoir de
donner à son histoire un aspect de réalité.
Très beau gros livre (400 pages) qu'il
ne faudrait pas réserver aux lecteurs de 13-14 ans...
©
Jean TANGUY 16 avril 2011
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