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Dix ans de Page Blanche
Pour fêter les 10 ans de la collection Page blanche,
les éditions Gallimard ont demandé à dix romanciezrs contemporains d'écrire
dix nouvelles "pour décliner, de Page Blanche à Page Noire,
toutes les couleurs de la littérature : Blanc -
Indigo - Rouge - Ocre
- Violet - Or - Ivoire
- Vert - Rose - Noir."
Ces romanciers sont tous connus, mais pas forcément
pour écrire pour la jeunesse. Dans son ensemble, ces dix textes sont une
réussite. Mais les genres et les niveaux de lecture ne sont pas identiques.
Blanc
comme neige
Un roman de Jean-Paul
Nozière, édité chez Gallimard, 1998,
dans la collection Page blanche.
Si on en croit ce que dit Bambi
à l'inspecteur de police, c'est pour Emeci (prononcer les initiales,
comme pour MC. Solaar) qu'il vendait de faux billets de tombola
dans une galerie marchande, une veille de Noël. C'est avec Emeci
qu'il aurait trouvé un sac à main tombé à terre, un sac contenant
trois cent francs et appartenant à une dame âgée. Et s'il a
pris deux cents francs à un musicien de rues qui, cette fois,
n'était pas aveugle, c'est encore pour Emeci... Lequel ne pensait
qu'à financer ce séjour à la neige qu'il voulait faire avec
sa classe, puisqu'il n'avait pas de famille pouvant payer. Le
problème, c'est qu'Emeci est introuvable, qu'on se demande même
s'il a existé.
Un roman un peu loufoque à cause de
Bambi dont on ne peut savoir si le discours est sérieux où s'il
divague. S'il dit vrai, Bambi donne au lecteur un bel exemple
de générosité, de compassion. Sinon, on admirera son adresse
à embobiner l'inspecteur de police et on prendra le parti d'en
rire !
Lecteurs dès 11-12 ans.
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Le poème
indigo
Un roman de Régine Detambel,
édité chez Gallimard, 1998,
dans la collection Page Blanche.
Elle a ait une chute de mobylette.
Sa parka est sale et son jean est lacéré. Elle aperçoit l'étal
d'un camelot "Indigo, went, gone, Tous les djinns à
prix d'achat". Elle lui demande un service et de lui
prêter un jean. Arrivée dans sa maison, elle s'aperçoit qu'elle
a perdu son carnet de poème, un gros carnet qu'elle tient depuis
trois ans. Elle souhaite le retrouver mais elle qui ne se trouve
pas belle, elle qu'on n'a jamais embrassée éprouve aussi le
besoin de provoquer le désir du camelot dont la conduite a été
troublante. Dans la camionnette qui porte des traces de feu,
il lui raconte le drame qu'il a vécu, il l'embrasse, il lui
rend son billet de cinquante francs et son carnet de poèmes.
Elle rentre, se lave, brûle le carnet et recommence un
nouveau poème...
La jeune fille vit difficilement la fin
de l'enfance. La rencontre du camelot remet les choses à leur
place (il ne l'a pas violée, seulement embrassée de force et frôlée).
Dans sa boîte de crayons, entre le violet et bleu, il y a l'indigo,
la couleur du poème qu'elle attend d'écrire depuis quinze ans.
La couleur d'une nouvelle vie maintenant qu'elle a perdu sa naïveté
d'enfant, qu'elle sait qui elle est et ce qu'elle peut, depuis
cette rencontre étrange avec ce camelot étrange.
Un texte un peu complexe qui devrait surtout plaire à des adolescentes
de 14-15 ans et plus.
Lire aussi : le
mystère de la dame de fer.
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L'écran
rouge
Un roman d' Ernest Pépin,
édité chez Gallimard en 1998,
dans la collection Page Blanche.
A Pointe-à-Pitre, dans une exposition,
un homme se laisse tenter par un tableau : un téléviseur qui
vomit un rouge insolite. Le tableau accroché dans son bureau,
l'homme perd le sommeil, attrape accident.... Pas de doute c'est
le tableau. Il cherche à rencontrer le peintre, un Haïtien qui
habite Port-au-Prince. Il lui raconte comment un dictateur a
décrété le rouge couleur officielle. Tout devait être rouge,
même le lait des enfants, même la mer, même les feux aux carrefours...
Le peintre décida, pour résister à la dictature devenue sanguinaire,
de peindre un tableau rouge. Après avoir regardé le rouge de
tous les peintres, c'est dans la terre des Caraïbes qu'il a
trouvé son rouge, le rouge couleur du monde...
Le thème
est original. La nouvelle est intéressante. Le texte utilise
couramment des tournures et du vocabulaire créole. C'est une
vigoureuse et poétique dénonciation des dictatures.
Lecteurs et lectrices de 13-14 ans et plus. Des plus jeunes devraient
pouvoir le lire comme un conte à condition de les accompagner.
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Ocre
Un roman de Pierre-Marie
Beaude, édité chez Gallimard en 1998,
dans la collection Page Blanche.
Ocre, c'est la couleur de la terre africaine
sur laquelle vit Doumo. A seize, à force de se baigner dans
le fleuve, il subit une attaque de polio qui le laisse handicapé.
Ne pouvant suivre les garçons du village, il s'ennuie. Jusqu'au
jour où il découvre la cabane pleine de sculpture de Papa M'bo.
Il est étonné, surpris, intéressé. Le vieil homme le prend sous
sa coupe et lui apprend la sculpture. C'est à dire qu'il lui
apprend à regarder le monde pour y saisir ce qui en fait l'âme
et pouvoir transfigurer sa sculpture. Un matin, alors qu'il
est devenu sculpteur, il rencontre Lise, une métisse née au
temps des militaires français, une fille silencieuse...
C'est un roman initiatique. Le garçon a deux
pères. Le géniteur qui ne s'occupe guère de l'élever, qui disparait
quand Doumo est atteint par la polio, quand sa vie est finie.
Le père symbolique qui le met en lien avec le monde en lui apprenant
la sculpture comme on apprend un art de vivre. Il lui permet
ainsi de connaître l'amour d'une femme et de donner la vie à
sont tour.
Pierre-Marie Beaude nous donne ici un de ses merveilleux romans
atypiques, dans lesquels la vie quotidienne est traversée par
une transcendance. Fascination du désert ???
Lire aussi Le muet du roi
Salomon et Issa,
enfant des sables.
Pour tous lecteurs dès 11 ans.
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L'encre
du poulpe
Un roman de Sylvie Germain,
édité chez Gallimard en 1998,
dans la collection Page Blanche.
Une femme fugue de ville en ville pour
fuir le souvenir de cet homme qui l'a congédiée après quinze
ans d'alliance, d'intimité. En fait, elle voyage sans réussir
à échapper à sa peine. Un après-midi, dans le froid et la pluie
d'une ville portuaire, elle suit un groupe d'enfants qui vont
visiter un aquarium. La visite ne la distrait pas de sa peine.
Sauf quand elle voit un poulpe derrière une vitre. Regardant
l'oeil de l'animal, elle a la sensation que c'est elle-même
qui s'observe. Elle se découvre, elle voit son coeur, son âme
dans la pieuvre : un ensemble gluant et mou avec des bras de
flagellant. Et peu à peu, le calme la gagne. Elle prend de la
distance avec son malheur. Dans le violet de l'animal, elle
commence à consentir au deuil de son amour, Elle écoute une
monitrice raconter l'histoire de Gilliatt qui a combattu une
pieuvre gigantesque... Et l'encre violine du poulpe emporte
noie le visage de l'infidèle...
L'écriture est impeccable, évocatrice de l'amour
trahi creusant un vide permanent, un thème cher à l'auteur.
L'encre du poulpe vient troubler, jusqu'à l'effacer, la douloureuse
vie passée. Libérée, soulagée, l'héroïne peut se remettre à
vivre.
Il faudra sans être bon lecteur, posséder une certaine maturité,
pour être sensible à la richesse symbolique de cette nouvelle
pleine de délicatesse.
Lectrices (surtout) de 16-17 ans.
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Les
souliers d'or
Un roman de Nancy
Huston, édité chez Gallimard en 1998,
dans la collection Page Blanche.
Jillie aime jouer du piano. Cet été-là,
elle délaisse Mozart et Chopin pour jouer avec ses jeunes voisins
Noirs qui n'ont pas de piano, des musiques que son professeur
ne lui apprend pas : des spirituals que chante Johnny et qui
parlent de noces et de souliers d'or, mais aussi du jazz et
du blues, du boogie et du ragtime, des musiques qui donnent
envie de bouger, de danser, caresser, embrasser... Elle goûte
le bonheur d'être près de Johnny, de l'écouter jouer, de chanter
avec lui... Un superbe été... Puis l'année scolaire reprend.
Mme Dermott meurt. Il y a une fête chez eux, pour tout le quartier,
et un très et trop bref moment de solitude avec Johnny. Puis
la terrible nouvelle du déménagement, à la fin juin. Le piano
est donné aux Dermott, pour que la musique reste dans leur maison,
là-haut sur la colline. Pour quelques temps seulement, hélas...
Une jolie tranche de vie animée par la musique,
comme dans d'autres romans de Nancy Huston. C'est aussi et surtout,
le roman d'un amour inavoué, de ce quelque chose de merveilleux
qui reste caché parce que la vie décide qu'il en soit ainsi.
Un souvenir heureux. Le texte très bien écrit, avec des rebondissements,
des inattendus qui évitent les clichés.
Pour des lecteurs et lectrices de 12-13 ans et plus.
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Ivoire
Un roman de Catherine
Lépront, édité chez Gallimard en 1998,
dans la collection Page Blanche.
Toune part à la chasse autour de l'étang
de Soulas. Elle veut voir le grand cerf albinos s'il vient à
traverser la forêt. Un grand cerf au pelage ivoire qui n'est
plus apparu depuis deux cents ans et qui trompe les chasseurs
depuis tout ce temps. ... Elle est accompagnée d'un garçon,
Rémi, qui la taquine fréquemment. Alors qu'elle va ramasser
le premier lièvre tué par les chasseurs, elle a clairement la
vision du grand cerf. Plus tard, ils retrouvent ses traces qui
les mènent à la cabane des bûcherons... Mais c'est le jour où
l'on fête leurs anniversaires et puisqu'ils ne sont plus des
enfants, on leur révèle le secret du grand cerf albinos...
C'est un roman sur la fin de l'enfance, la
perte des illusions, l'épuisement de la faculté de rêver des
jeux où, avec un peu d'imagination, on peut transformer des
machines agricoles en vaisseaux intersidéraux. Le regard change,
la vie devient sérieuse, il n'y a plus de place pour ces visions
extravagantes. Encore que...
Une nouvelle étrange qui entremêle rêve et réalité.
Pour des lectrices et lecteurs de 14-15 ans.
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La
statuette de jade
Un roman de Jean-Philippe
Arrou-Vignod, édité chez Gallimard
en 1998,
dans la collection Page Blanche.
Un homme part au Kenya retrouver
un ami, le capitaine Ferdjston qui, après des années à naviguer
sur les mers du globe, s'est retiré dans la brousse. Il vit
dans une austérité extrème, à des centaines de kilomètres de
toute habitation, avec pour seule compagnie humaine, celle du
major Kikuyu. Il garde une réserve d'éléphants contre les contrebandiers
qui les massacrent sauvagement pour leur ivoire.
Mais pour quelle raison le capitaine a-t-il rompu les amarres
avec le monde occidental pour vivre si loin de tout, dans la
solitude et les sortilèges de la nuit africaine ? Une statuette
de jade qui lui a d'abord paru maléfique, va lui apporter la
réponse.
Le massacre des éléphants est l'argument
de cette nouvelle. Mais il est traité au travers du récit d'une
aventure, en provoquant à la réflexion. C'est un peu une fable
philosophique et un manifeste écologique, en même temps qu'un
encouragement à la fidélité dans l'amitié. Intéressant.
Pour des lecteurs et lectrices dès 12
ans.
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La
vie en rose
Un roman de Virgine
Lou, édité chez Gallimard en 1998,
dans la collection Page Blanche.
C'est en chantant "la vie en
rose" que Rosa a gané un voyage à Venise pour deux personnes.
Elle choisit de partir avec un ami, Ralf, tout simplement parce
qu'elle pense que le père de Laïdia ne l'autorisera pas à voyager.
Les voila donc dans le car. Mais à un arrêt, Ralf traîne et
l'autocar part sans lui. Le voyage de Rosa devient déplaisant...
Pendant ce temps, Laïdia trouve que c'en est trop. Elle prend
ses économies et décide de fuguer pour retrouver Rosa.
Ralf va jusqu'à Venise où un jeune homme Battista le remarque
et lui offre de le dépanner. Par hasard et chance, le trio se
reforme. Laïdia est très attirée par Battista et laisse Rosa
et Ralf ensemble.
Lorsqu'elle découvre la maison de Battista, elle cesse de rêver,
elle est seule devant sa vie.
C'est un curieux roman qui laisse une impression
d'inachevé. Peut-être parce que le trio éprouve une liberté
toute neuve, les premiers émois amoureux et que c'est pour eux
la fin de l'enfance. C'est le moment où on devient l'artisan
de sa vie, où l'on commence sa vie d'adulte. Où
l'avenir est totalement ouvert. Ce qui ne procure pas que des
avantages...
La nouvelle est la succession des monologues des trois jeunes.
Il y a peu de dialogues. On est dans les pensées, dans le ressenti.
Le langage reprend celui des jeunes, avec respect, sans donner
la désagréable impression de le singer comme c'est parfois le
cas dans les romans pour la jeunesse.
A part donc cette impression d'inachevé, cette nouvelle est
une réussite et devrait plaire aux adolescentes. |

La
couleur du noir
Un roman de Didier
Daeninckx, édité chez Gallimard en
1998, dans la collection Page Blanche.
Quelqu'un a assassiné Victor Granic, le directeur
des éditions Intérieur Noir. Le commissaire Schwartz et son
adjoint se rendent sur les lieux pour constater que trois manuscrits
ont été dérobés, dont l'un avait été envoyé sous un pseudonyme.
Ils consultent le lecteur de ce manuscrit, un étudiant petit-fils
d'un prix Goncourt, pour savoir de quoi il parle : de l'installation
d'un jeune instituteur français dans un village de Madagascar
pendant la Deuxième Guerre mondiale. Le roman baigne dans une
atmosphère de crimes rituels, de magie. Certains passages décrivent
des scènes de guerre d'une violence insoutenable. Sans doute
l'histoire était-elle autobiographique ? Un deuxième homme est
assassiné, un écrivain qui a écrit un roman dont le cadre est
Madagascar en 1947. Qui donc a intérêt à ces disparitions, quelqu'un
qui se serait reconnu dans le héros du roman disparu ???
Daeninckx est ici dans son genre de prédilection,
le roman noir qui s'inspire de faits de notre histoire contemporaine.
Il use et abuse du noir : le nom des éditions, le commissaire
Schwarzt qui est aveugle, l'Afrique, la référence à Dashiell Hammett...
Voilà un petit roman vite lu, mais bien ficelé.
Pour des lecteurs de 13-14 ans et plus.
Autre ouvrage présenté sur ce site : L'enfant du zoo
© 24 novembre 1999
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